LOUIS DE FUNES

IL ÉTAIT UNE FOIS SERGIO LEONE




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Octobre 2017

LES PIXELS DE PAUL CEZANNE
Le regard de Wim Wenders

Les pixels de Paul Cézanne et autres regards sur des artistes, Wim Wenders
Traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger
Editions L’Arche, 192 pages, 20 septembre 2017

« Ce n’est qu’en écrivant que j’arrive à penser les choses jusqu’au bout. Quand je vois les mots écrits devant moi, mes pensées s’éclairent d’elles-mêmes. »

Il est rare qu’un cinéaste ait l’occasion, l’envie, ou tout simplement la capacité de parler du travail des autres. Il est déjà si compliqué de tenter d’expliquer ses propres œuvres, comment se conçoit, se tourne et se réalise un film… Alors, parler des plus grands maîtres ! Décortiquer leur style. Analyser ce qui fait leur essence…

Pourtant, c’est bien le jeu auquel se prête régulièrement Wim Wenders, lorsqu’il accepte de rédiger (lui-même) des préfaces, des textes introductifs, des articles ou encore des discours. Autant de textes réunis aujourd’hui sous forme de florilège en un recueil précieux, captivant à la fois pour ceux qui aiment et connaissent le travail de Wenders que pour ceux qui s’intéressent simplement au cinéma et à l’art en général. Et dans les deux cas, une très sérieuse leçon d’écriture et d’analyse critique.

Car non seulement Wim Wenders parle des films et des œuvres des autres avec talent et passion, mais il y parvient avec la plus grande sincérité, la plus grande générosité, en s’oubliant totalement derrière son sujet. Pas à pas, exactement comme s’il cherchait à documenter le fil de sa pensée, il accepte de révéler ses interrogations, ses tâtonnements, presque ses doutes. Comment décrire l’effet qu’a sur lui le travail du photographe Peter Lindbergh ? Comment exprimer l’impression que lui fait le dessin de Cézanne, la Montagne Sainte-Victoire ? Et que dire de la sensation de paradis perdu du cinéma qui émane des films de Ozu ?

En lisant ce livre, c’est tout-à-coup comme si l’on pouvait voir à travers les yeux de Wim Wenders. Faire nôtre son regard sur le monde, sur l’art, sur la vie. Tout le paradoxe est là : le cinéaste parle au fond très peu de lui dans ce livre, si ce n’est sous la forme de l’anecdote, en passant, et pourtant chacun de ses textes est comme une confession à cœur ouvert qui permettrait de comprendre ce qui l’a fondé, lui, en tant qu’artiste et en tant qu’homme. A travers les pages sublimes qu’il consacre au cinéma d’Anthony Mann, on en apprend ainsi plus sur le jeune Wim Wenders qui, après avoir découvert ce cinéaste, décida subitement de changer de voie : lui qui voulait être peintre se réorienta vers le cinéma, avec le succès que l’on sait. A travers la passion avec laquelle il évoque le travail de Pina Bausch, la délicatesse dont il fait preuve pour décrire les tableaux d’Andrew Wyeth ou encore la manière enflammée et minutieuse à la fois qu’il a de parler d’Edward Hopper, ce « grand conteur de la toile blanche », on découvre un homme à la recherche d’une vérité intime, inhérente aux œuvres qu’il regarde, et qui toutes lui renvoient comme en miroir des réponses à ses propres questions.

Car le point commun entre tous les artistes présents dans cet ouvrage, en plus de tous être à leur façon des « conteurs d’histoire », c’est justement la vérité que Wenders y trouve (« cette voix merveilleuse (d’une clarté saisissante) qui parle dans les meilleurs films d’Anthony Mann ») et qui s’apparente à la simplicité, l’émotion originelles : « chaque fois que j’ai vu des pièces de Pina (…) j’ai ré-appris ; comme frappé par la foudre, à voir ce qu’il y a de plus simple, de plus évident comme ce qu’il y a de plus émouvant. », ou encore « Ozu applique donc des méthodes extrêmement simples mais efficaces pour démolir notre barrière de protection, de sorte que nous puissions devenir partie prenante de l’humanité ». Mais aussi, en parlant de Cézanne : « comment pouvait-on autrefois (comment peut-on aujourd’hui) décomposer ainsi son objet et pourtant le faire réapparaître de manière si bouleversante ? »

En effet, l’admiration de Wenders se double d’une certaine forme de nostalgie, la sensation d’un paradis irrémédiablement perdu. C’est ainsi qu’il conclut le texte sur Cézanne : « Vu sous cet angle, contempler la petite aquarelle de 1900, c’est faire le constat, de ses propres yeux, d’une immense perte (ou d’une nouvelle habitude culturelle d’une portée historique.) » Sur Ozu, il termine par ces mots : «Les films d’Ozu nous ramènent, l’espace d’un moment, à cet état de l’enfance. Si sa vision du cinéma peut avoir été alors paradisiaque, elle est devenue, dans la perspective actuelle, parfaitement utopique. » De l’enfance, il en est également question dans le texte sur Anthony Mann dont les films « relèvent d’une époque d’innocence furtive, depuis longtemps révolue, et donc paradisiaque » et nous permettent « comme l’enfant du conte, de faire une pause, étonnés, et nommer la vérité par son nom (… ou la voir nommée ?). »

Lorsque l’on est familier de l’œuvre de Wenders, bien sûr n’est-on pas totalement surpris par ce fil rouge qui parcourt en filigrane le recueil, et une partie de son œuvre. La quête de l’innocence, l’idée d’une vérité intime et universelle, la valse des émotions… Comme les films de Wenders se sont nourris de ses pairs, nous nous saisissons à notre tour de son regard sur eux pour une relecture captivante de son travail. Et, pour le paraphraser, c’est un peu comme si ce regard comportait à la fois sa vision de leur art et l’exégèse de cette vision, c’est-à-dire « le reflet des conditions » dans lesquelles il a été vu et pensé.

- MpM    


Wim Wenders sur Ecran Noir