La belle et la bête

Elle s'appelle Simone. Ou Sim One. Plus vraie que nature. Elle prend les traits d'une comédienne canadienne, Rachel Roberts. Al Pacino en fait une poupée virtuelle capable de tout jouer et chanter, remplacer les plus grandes actrices, se substituer aux divas de la scène. Voici la belle idole qui fait succomber le monde. Une créature de rêve, pleine de bits, de 1 et de 0, chimie étrange de grandes légendes ayant réellement existé et de compétences technologiques dûes à des machines incapables de " penser ". Simone pose la question de l'avenir du comédien, et par conséquent de la réalité reproduite dans le seul but de nous émerveiller. Une image virtuelle pour faire exister l'illusion. Alors que des savants fous se font la course au clonage humain, le cinéma s'amuse à refaire Frankenstein, à sa manière.
Ce n'est pas nouveau : l'usage de fantômes hollywoodiens dans la publicité avait déjà amené le débat. Le fantasme de faire jouer Marylin avec Tom Hanks. Mais le vice est poussé plus loin avec ce subterfuge de faire croire qu'elle existe. Cette belle n'est ni irréelle, ni vivante. Mais bizarrement familière et crédible.
Un peu comme la Bête.
Son nom ? Gollum. Pas qu'elle soit un monstre, cette bête ressemblerait plutôt à un être humain atteinte d'un méchant virus. Gollum, véritable schizo de la trilogie de Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux) est une performance artistique et technologique. Incarné par Andy Serkis, ce gnome au sourire malin, enfantin et diabolique a les mouvements d'un homme. Seule son enveloppe est numérique. Un maquillage qui n'a rien d'un mirage. On l'accepte dès son apparition sur le grand écran et devient un personnage à part entière. La technique d'incrustation d'un personnage " animé " n'a rien de révolutionnaire (elle a souvent été utilisée dans des films mixant réel et animation). Mais Gollum est à la fois chimère cinématographique et simulacre de l'imaginaire.
20 ans après E.T., Gollum marque une étape importante dans l'usage du faux pour rendre vrai. Nous sommes loin de la marionnette ou de l'animatronique (qui fait fureur en jeu cette année). Car si les jouets reproduisent désormais du plus vrai que nature, à quand un enfant de type David (dans A.I.) ? Le cinéma semble en perpétuelle quête de recréer nos rêves les plus insensés, pour transposer dans la réalité (virtuelle) ce que l'homme a osé imaginer et que la science, l'art ou la nature ne peuvent pas créer (pour l'instant ?).
Le défi est tellement grand : les prouesses de SpiderMan, l'évolution de Yoda ou encore les mimiques de Dobby ne sont que des reflets de nos fantasmes. On modèle un personnage, ses mouvements, sa vie, en le déracinant de son matériau de base (Bande dessinée ou livre) pour en faire un " produit " physique, visuel.
Mais S1m0ne et Gollum dépassent les limites de l'impossible. Ils nous questionnent sur ce qui est vrai et faux, sur ce que nous sommes prêts à accepter, éthiquement, sur ce besoin insatiable de concrétiser nos rêves. Ils deviennent des icônes mystiques puisqu'ils n'existent pas ailleurs que dans nos yeux. Et pourtant on y croit.
Cependant, les deux ont besoin du réel, de la vie, d'un être qui leur donne leur humanité : une très belle femme pour l'une, un excellent comédien pour l'autre (au point qu'il réclame la validation de sa performance pour concourir à l'Oscar du meilleur second rôle masculin). De fait, pour la première fois des personnages virtuels font jeu égal avec les acteurs de chair et de sang.
S1m0ne clamait dans son film : " Je suis la mort du réel ". Vrai ou … Faux ?

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