s o m m a i r e

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La Polémique
Interview de Michel Ciment
LETTRE & LIENS

" Chers amis,
Depuis quelques temps, je suis effaré de l'attitude de la critique vis-à-vis du cinéma français. Je ne me sens pas plus visé qu'un autre (plutôt moins d'ailleurs), mais je lis simplement ce qui s'écrit sur nos films. Certains papiers qui ressemblent à d'autant d'assassinats prémédités, me font froid dans le dos, comme si leurs auteurs s'étaient donnés le mot pour tuer le cinéma français commercial, populaire, grand public.

Je ne sais pas ce que nous pouvons faire face à cette situation critique (le mot est amusant).
J'ai bien quelques idées, mais je ne sais pas si elles sont bonnes. J'aimerais en parler avec vous, d'une manière informelle.

Merci de ne pas me laisser seul avec ma colère et ma perplexité.
Amitiés,
Patrice Leconte

  • Dossier sur Libération Textes, pétitions, Forums... beaucoup de bruit pour rien?
  • Le cinéma par Le Monde
  • titres de journaux
      POLEMI...à la con.

      Comment naît une polémique... et défaît un Président...
      Critiques heurtés dans leur susceptibilité, cinéastes en désaccord, batailles de rédactions, textes volés, démissionsÉil est bon de voir que la critique peut encore provoquer des batailles enflammées. Merci, Patrice Leconte, de réveiller un milieu assoupi, immobile et par trop égocentrique, même si rien de tout cela n'était voulu É

      L'affaire naît en effet le 13 octobre 99, à la suite d'une erreur informatique: une lettre de Patrice Leconte, adressée à ses seuls confrères de l'ARP (association des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) tombe entre les mains de rédactions parisiennes. On peut y lire le désarroi du réalisateur face à l'attitude d'une partie de la critique française (cf lettre)É Branle-bas de combat chez les principaux intéressés : Libération dégaine le plus vite, Olivier Séguret proposant immédiatement une interview à Patrice Leconte, qui accepte, s'explique, mais ne se dédit point. Au contraire, les reproches se font plus précis (Libération, Le Monde et Télérama sont directement mis en cause) et plus agressifs : en parlant de la critique comme d' " un club de fossoyeurs ", Patrice Leconte signe une véritable déclaration de guerre. Le Monde apprécie peu : selon le quotidien, les critiques servent de boucs émissaires dans la crise du cinéma français : télévision et distributeurs sont également mis en cause. En même temps, Jean-Michel Frodon choisit de s'exprimer à la télévision, sur la Cinquième: aux côtés de Jean-Claude Loiseau (rédacteur en chef de la rubrique cinéma de Télérama), il fait face à Patrice Leconte, dans l'emission-débat de Serge Moati, Ripostes. Visiblement vexé d'avoir été attaqué ad nominem, c'est la dernière fois que le " monsieur cinéma " du Monde s'exprime à ce sujet.

      En quelques jours, l'affaire prend une ampleur inattendue, les cinéastes répondent à l'appel de Patrice Leconte et organisent une réunion exceptionnelles de l'ARP le 4 novembre. La vingtaine de réalisateurs présents s'accordent sur la nécessité d'une action commune, mais peinent à s'entendre sur les moyens à employer. Il est finalement décidé de rédiger un texte destiné à être publié, signé par tout cinéaste concerné et diffusé dans les salles de cinéma. Dans le même temps, le débat envahit les médias : Libération multiplie les consultations (" Le critiqué devrait pouvoir répondre , l'avis de trois professionnelles "), le Nouvel Observateur consacre un dossier à la polémique, l'AFP livre régulièrement de nouvelles déclarations (Cédric Klapisch, Claude MillerÉ), et Patrice Leconte s'exprime à nouveau, cette fois à la radio, dans Le Masque et la Plume, une émission qui lui vaut le soutien d'une partie des critiques qui la font, Michel Ciment en tête (interview). Le 24 novembre, Le Monde " grille " ses concurrents en publiant, en avant-première, le texte élaboré lors de la réunion de l'ARP ; le lendemain matin, Libération réplique, en publiant l'intégralité de ce même texte. Il n'est pas encore signé, et ne doit être publié que début décembe, mais la loi du scoop n'attend pas É

      Comme tout texte inachevé, ce " manifeste des réalisateurs en colère " divise les cinéastes et offre à ses adversaires des arguments de choix : Libération y ajoute donc la liste des erreurs qu'il comporte. Il faut dire que les cinéastes n'épargnent personne, " la critique est en crise, en crise d'intelligence, en crise de compétence, en déficit d'analyse et d'enthousiasme ", et n'hésitent pas à citer les articles qu'ils jugent symptomatiques de la dérive de la critique :Ê " l'exemple le plus caricatural et le plus pitoyable se trouve dans les Inrockuptibles quand quelques mois avant la sortie et sans en avoir vu aucun, Frédéric Bonnaud et Serge Kaganski donnent la liste des films de la rentrée 1996 sous le titre Les films qui nous donnent envie de changer de métier. Ca les amuse ? Pas nous " ; un peu plus loin, ce sont Libération et Le Monde qui sont mis en cause, le premier pour ses " phrases dégueulasses " sur le film de Polanski ainsi que pour les jeux de mot faciles de ses rédacteurs, Gérard Lefort en tête, le second sous les traits de Jacques Mandelbaum pour ses " lignes pleines de morgue et de sentiment de supériorité ". La liste est encore longue, même si le manifeste ne se contente pas d'attaquer ad nominem, dénonçant aussi le système, qui permet aux mensuelsÊ (en l'occurrence, Première et Studio) d'éreinter une Ïuvre dix ou quinze jours avant sa sortie. Mais plus que les reproches, c'est la solution proposée par les réalisateurs qui passe mal; une simple phrase, " nous souhaiterions qu'aucune critique négative d'un film ne soit publiée avant le week-end qui suit la sortie en salles ", fait l'effet d'une bombe. Dans le numéroÊ du 1er décembre de Télérama, qui fait sa Une sur la polémique, on sent toute l'exaspération de la critique. Serge Kaganski, des Inrockuptibles, se montre le plus virulent, taxant la tentative de dialogue des réalisateurs de " manÏuvre " : " ils veulent tamiser et contrôler la critique. Ils réclament des articles stimulants. Eh bien moi, je ne veux voir que des chefs d'Ïuvre ! Que des films stimulants " Au moins a-t-il le mérite de s'exprimer, Jean-Michel Frodon et Gérard Lefort ayant refusé de répondre aux questions de Télérama, qui offre un >dossier par ailleurs très complet sur le sujet.

      Une lutte des castes...
      Du côté des réalisateurs, même Bertrand Tavernier, d'ordinaire très virulent, choisit la discussion, qu'il espère " sans invectives " avec les critiques de Libération : publié le 2 décembre dans le quotidien, l'entretien montre la volonté du cinéaste de remettre les pendules à l'heure. Il commence par expliquer que l'affaire " n'est pas née à cause du palmarès de Festival de Cannes " (contesté par de nombreux réalisateurs français) et précise bien que la critique n'est pas à l'origine de tous les maux du cinéma français. Les journalistes de Libération, de leur coté, mettent en avant la tradition d'impertinence de leur quotidienÉLe blocage semble aujourd'hui d'autant plus complet que certains réalisateurs français ont choisi de se désolidariser publiquement du texte publié dans Le Monde et Libération : " nous pensons que cette polémique (cinéastes-critiques) est vaine ". Parmi eux, Cédric Klapisch, qui s'était pourtant manifesté quelques jours plus tôt contre les parti pris de la critique. Dernier épisode en date : la démission de Claude Miller de la présidence de l'ARP, qu'il justifie en partie ainsi : " Parce que je refuse d'être entraîné plus longtemps dans un combat douteux. Parce que je ne supporte pas d'y avoir laissé entraîner l'ARP . Parce que je me sens incompétent sur le terrain de la mauvaise foi qui à mon sens caractérise le pseudo-débat de ces dernières semaines (mauvaise foi que j'observe dans les deux camps, faut-il le préciser)ÉParce que je suis écoeuré de voir le débat sur la critique remplir nos locaux de gens qu'on ne voit jamais, alors que le débat sur l'OMC réunit moins de dix personnes.. ". Pierre Jolivet est donc le nouveau président de l'ARP, quiÊ précise dans un communiqué publié le 8 décembre qu' " aujourd'hui, l'ARP n'a pas l'intention de solliciter les réalisateurs afin qu'ils prennent position au cÏur d'un phénomène polémique tortueux et médiatiquement hors de proportion ". A croire que chacun souhaite désormais en finir avec une polémique qui révèle un véritable malaise dans le monde du cinéma françaisÉ


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