LE REGNE ANIMAL

L'été fut sauvage aux States. Bestial même, si l'on considère l'âpreté de la guerre entre les studios pour conquérir le public. Animal aussi, si l'on pense à la façon dont est traité ce même public, qui agit en mouton chaque semaine, en allant voir la sortie phénoménale du moment. L'été 2001 a peut-être tué les grèves dans l'oeuf , mais il a soulevé des inquiétudes pour l'avenir de l'espèce cinéphilique.

Le Box Office a fait aussi la part belles aux créatures étranges. La belle Aki, toute virtuelle, artificielle, intelligente. La séduisante Ari, simiesque, humaniste, philosophe. Et puis les robots d'A.I., humanoïdes troublants alors que des scientifiques jouaient aux apprentis sorciers avec le clonage dans l'actualité estivale. Il y a même eu Harry, l'ami qui veut du bien, inspirant les fans d'art et d'essai et surtout Miramax pour en faire un remake. Il y en eut d'autres : des chiens, des chats, un homme " transgénéïsé " avec des organes d'animaux, des monstres marins, un ogre et son âne, des aliens, des momies, des dinos, des fantômes, des singes, et de toutes ces espèces soignées par le Docteur Dolittle... sans oublier le scorpion de jade recherché par Woody Allen.

Entre remakes et sequels, on peut d'ores et déjà prévoir une avalanche de projets dans les prochaines années. The Mummy returns, Jurassic Park III, Rush Hour 2, American Pie 2, Dr.Dolittle 2 sont parmi les plus gros hits de l'été. Les adaptations ne sont pas en reste : Planet of the Apes, Tomb Raider,... Dans le registre, il y a deux flops à noter : Final Fantasy et Scary Movie 2. En revanche, les scripts vraiment audacieux ne sont pas à la fête. A croire qu'on s'adresse au spectateur comme s'il était décérébré et uniquement mu par des pulsions sexuelles ou hormonales.

Cette baisse de la qualité des scénarios sera l'un des points marquants de cet odyssée estivale. Il accentue la tendance de la consommation de masse du cinéma. Chaque semaine, un studio met le paquet sur un film, les exploitants le programment dans deux fois plus de salles que les autres, et les spectateurs sont incités à aller le voir tout de suite, avec des campagnes de plus en plus excitantes. Si les sorties font des scores de plus en plus monstrueux, la fréquentation des films chute dès la seconde semaine, accélérant la rotation des événements majeurs, réduisant radicalement la durée de diffusion des films en salles, obligeant les spectateurs à se précipiter dans les salles dès les premiers jours. De la consommation fast-food dont souffrent des films exigeants ou moins distrayants comme A.I. ou même The Score, rares films avec un zeste de psychologie et stimulant le cortex.
Puisque le bilan est financièrement positif, pourquoi se remettre en question ?

A la pauvreté scénaristique et au marketing de plus en plus cher, s'ajoutent l'imprévisible, les erreurs de stratégie, et une billet de cinéma trop cher. Au delà des rumeurs désastreuses et des critiques de plus en plus déçus (et de plus en plus corrompus...), le " produit " cinéma doit faire face à de nombreux nouveaux concurrents (des jeux vidéos, des concerts très chers, le DVD...). Qui aurait pu prévoir que les " losers " de l'été s'appelleraient Spielberg, Julia Roberts et Disney ? Les trois valeurs les plus sûres d'Hollywood !
Pourtant, Warner a été incapable de vendre A.I. qui a modestement cumulé 80 millions de $. Un résultat similaire à la farce romantique avec Julia Roberts, qui fait à peine mieux que Legally Blonde, comédie surprise avec Reese Whiterspoon. Quant à Disney, le studio a coulé Atlantis, son pire résultat en 12 ans, et Pearl Harbor qui est considéré comme " a bomb ", un four à peine rentable et artistiquement très contestable. L'été Disney se concluera sur Bubble boy qui lui passera totalement inaperçu et ne pointera même pas son nez en première semaine dans le top 15.

Le score au BO n'est pas synonyme de qualité. A.I., Moulin Rouge ou encore The Others ont leur chance aux Oscars. Ce ne sera sûrement pas le cas des vainqueurs de la saison " hot ". On imagine mal Rush Hour 2, The Fast and the furious, Le Retour de la Momie, La Planète des singes ou encore Tomb Raider à la cérémonie. Car on peut constater une réelle redistribution des cartes. On sait déjà que ces films auront leur suite (entre 2003 et 2005). Mais surtout des stars comme Paul Walker, Vin Diesel, Chris Tucker, Jackie Chan, Brendan Fraser, Tim Burton et Anjelina Jolie ont changé de catégorie et ont vu leur cachet croître avec un zéro.
Tandis que Pearl Harbor, Scary Movie 2, Evolution, Swordfish, sans être des flops, n'auront rien changé pour leur casting. Voilà l'impact du Box office.

On retiendra finalement peu de chose de cette saison tant annoncée. Les effets spéciaux ont été utilisés à profusion, sans forcément s'appuyer sur de belles histoires et des personnages bien écrits. Le divertissement fut triomphant (seuls 5 films d'auteur, dont Le Placard, Sexy Beast, Memento, se sont fait remarqués). On se souvient peut-être d'un pot de colle pris pour de la vaseline, des seins de Halle Berry, du New York de Final Fantasy et de A.I., des regards de Nicole Kidman, ... On a oublié les innombrables poursuites haletantes, les combats fatigants, les mecs bien foutus aux beaux biscotos et dont on ne se souvient plus du nom, les tics des comédiens venus de la télé...

Mais finissons cette conclusion d'un été morose pour les imaginaires virtuels des réels cinéphiles que nous sommes par le héros du moment. Car l'été a son Roi, son soleil. Le Roi des animaux de cette jungle est un ogre vert, et son âne bavard. Ce soleil vert est une production animée qui a mis Disney à terre. Effets spéciaux, images de synthèse, marketing réussi, une belle histoire pleine de références et d'impertinences, des personnages attachants, de l'humour... Shrek est le grand vainqueur de l'année. Un scénario original, un genre renouvelé, des stars pour les voix et une suite en préparation - évidemment. Le film idéal. Peut-être le seul qui nous fera encore croire que le cinéma, ce n'est pas des pots de yaourts comme le disait Jean-Marie Messier (PDG de Vivendi Universal à qui on doit la Momie 2, Jurassic Park III, American Pie 2). Shrek, lancé à Cannes, fut le plus beau succès du Box Office aux Etats Unis, mais aussi en France.
Numéro 1 au final. Un beau conte de fée. Dommage que les producteurs hollywoodiens ne nous en servent pas plus des comme ça, plutôt que de nous livrer des produits tout faits et surgelés. A force, les chimpanzés domineront la Planète...

- Vincy

 (C) Ecran Noir 2001