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Le numérique est déjà présent depuis longtemps dans l'industrie cinématographique. Toute la chaîne sonore et toute la chaîne de post-production image (montage virtuel, effets spéciaux et étalonnage) se sont converties au digital il y a plus de dix ans. Restait le dernier bastion de la prise de vues cinéma… Et il faut toujours un premier pour essuyer les plâtres! C'est chose faite avec le film Vidocq, premier long métrage de Pitof, tourné à l'aide d'une caméra numérique professionnelle 24p à balayage progressif. Ici, plus rien à voir avec les petites caméras DV amateur qui ont fait le succès des films du Dogme de Lars Von Trier. Aucune révolution de mise en scène à l'horizon, mais une avancée technique indéniable.

Pour bien comprendre les différences entre les deux cinémas, argentique et numérique, rappelons quelques données de base. Classiquement, le cinéma se définit comme un système d'enregistrement optique (focales) qui génère une image sur un support chimique (le film) lui-même entraîné par un mouvement intermittent mécanique de griffes et de contre-griffe synchronisé avec un obturateur (la caméra). C'est sous cette Sainte-Trinité optico-chimico-mécanique que le cinéma est devenu un système de représentation visuelle à part entière. Découpage en cadres, échelle des plans par focalisation, profondeur de champ, mouvement dans l'image sont génétiquement liés à l'outil-caméra. Et c'est à partir de ses éléments techniques que se sont forgées toutes nos références et toute notre culture visuelle au XXième siècle.

Avec le cinéma numérique, seules restent les optiques. Les capteurs CCD remplacent le film et le corps de la caméra se compose majoritairement d'électronique qui traite le signal vidéo. Ces trois données interagissant entre elles, commencent alors les petits problèmes : définition, colorimétrie, luminance, profondeur de champ, rendu du mouvement, sont autant de paramètres qui doivent être reconsidérés de fond en comble.
Face à l'aspect tramé, froid, trop piqué ou trop net de ses débuts, la vidéo a toujours voulu imiter le rendu de son " grand frère ", le cinéma. Pour cela, il a fallu attendre l'apparition de CCD très sensibles et de la caméra dite Proscan qui capte l'image en une seule passe, 24 fois par seconde. Ajoutez à cela la restitution du mouvement cinéma grâce à un obturateur électronique qui remplace l'obturateur mécanique, l'adaptation des meilleures optiques au monde (Panavision) pour atteindre une qualité qui fait souvent défaut aux zooms vidéos, et, la mise à disposition de tous les accessoires qui équipent habituellement les caméras films et vous pouvez enfin rivaliser avec votre " grand frère " !

Bien que la définition de l'image vidéo s'améliore, la taille des CCD diminuant de jour en jour, il ne faut pas oublier que, malgré tout, l'image négative cinéma possède, suivant le format, entre 7 à 12 millions de pixels (sels d'argent) ! Et le nombre influe directement sur la sensibilité qui détermine la finesse de rendu des luminances et des couleurs. Pour l'exemple, on parle habituellement de la souplesse des films négatifs actuels. En effet la pellicule chimique a une dynamique de 10 ou 14 diaphragmes là où l'électronique qui compose la caméra ne permet qu'une dynamique comprise entre 6 et 8 diaphs. Avec le film, un opérateur pouvait s'autoriser des écarts d'expositions de 1 à 1½ diaph et les corriger à l'étalonnage pour faire raccorder les plans entre eux sans aucun problème. La caméra numérique accepte difficilement des écarts de ½ diaph. Ce problème est surtout sensible dans les surexpositions. D'autres problèmes d'ordre colorimétrique ou optique viennent s'y ajouter. La liste est longue… Nombre de paramètres peuvent être contrôlés, soit en amont lors des multiples préréglages grâce aux deux menus internes de la caméra, soit en aval au stade de la post-production, entre les effets spéciaux et l'étalonnage numérique. Mais rien ne remplace l'expérience et la précision du directeur de la photographie. Les essais caméra seront plus que jamais nécessaires.
A terme, les avantages de tourner en numérique sont nombreux. Le principal est d'unifier la chaîne de production du film afin de disposer d'une image d'origine sous forme digitale et de bénéficier par la suite des possibilités infinies de réglages offertes par l'étalonnage numérique sans avoir besoin de scanner entièrement le film, comme cela avait été le cas pour le Pacte des Loups et Amélie Poulain.

L'image numérique est donc théoriquement plus facilement manipulable. Théoriquement seulement. Dans la pratique, comme l'a démontrée l'aventure Vidocq, la machinerie du tournage ne s'en trouve pas allégée et le temps d'affinage des images en post-production est toujours très long.
Le film de Pitof aura donc eu valeur d'expérience, avec les aléas et les bénéfices inhérents à la première fois. Mais aucun pessimisme n'est de mise. Bien au contraire. Avec la vidéo HD, c'est l'avenir du cinéma qui nous attend déjà. Les prochains réalisateurs à s'y coller seront les frères Wachowsky et Georges Lucas, respectivement pour Matrix 2 et l'Episode 2 de la Menace Fantôme… Bons tests…

CLC