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  • Y a-t-il un cinéma gay?

    La vie en rose?

    Depuis 3 ans et des spermatozoïdes, date du premier édito sur le sujet, la société a bougé, les opinions ont changé. Gays et lesbiennes sont plus "visibles", à la télé comme au cinéma. Ils sont même intégrés dans des grands films populaires, tels Le Placard de Francis Veber ou Boy's don't cry qui valu un Oscar à Hilary Swank. L'homo se banalise, et personne ne s'en plaindra. De grandes capitales comme Paris ou Berlin ont des maires qui en sont et qui en ont. La planète devient bi dans ses zones les plus prospères. Ca n'empêche pas la Chine, les pays musulmans, Madagascar de sanctionner pénalement et violemment l'homosexualité. C'est ce paradoxe que je souhaites souligner. Bien sûr, certains voient la vie en rose et en toute liberté. La Gay power comme on l'appelle. Mais au sein de cette communauté, les avis divergent - allez j'ose le jeu de mot facile, dix verges ; l'affichage et l'image des homos offre un débat houleux entre les partisans d'une reconnaissance claire et ceux qui vise une normalisation. Le cinéma hésite aussi entre ces deux voies.

    La confusion des genres
    Ecran Rose, variante sodome, gomorrhe et sapho d'Ecran Noir, se devait donc de modifier un peu son look. En 98, on montrait encore la marque de son sous vêtement par dessus le pantalon. En 2001, on revient aux seventies.
    L'époque se veut plus fun, plus vide aussi. Les films sont de moins en moins militants et de moins en moins gais; et même les cinéastes gays (en France citons Ozon et Lifshitz) écrivent des histoires sans connotations homosexuelles. Les festivals se déroulent dans les villes les plus machos. Le gay est tendance, moteur de modes, héros du Loft. Les nuits y sont blanches dans ces villes colorées, Têtu fait sa pub dans les aéroports, et Libé continue de s'extasier sur le moindre éphèbe.
    Car avant le sexe, il y a le fric; et comme dirait Coluche, ce sont les deux éléments qui font tourner le monde. Cette money power infinie (couples sans enfants, célibataires à hauts revenus) séduit médias et annonceurs, ghotta et créateurs. Les sitcoms en font des héros, d'Ellen à Will. Ca ne choque plus. Autrefois marginal et provocateur, moqué et caricaturé, l'homo est devenu le meilleur ami de la femme dans les productions américaines ou un personnage sensible qui fait rire en France. On n'évite pas les clichés. C'est peut-être là que se situerait le seul combat dans le domaine de l'audiovisuel : une écriture plus fine de personnages souvent grossièrement décrits. Après tout, on sait que le gay peut être politicien, prolétaire, employé, prof, militaire, étudiant, comptable... on s'en fout. Ce n'est pas le genre qui doit dominer. On n'est pas homosexuel avant de naitre homme ou femme.

    Parité
    Pourtant le cinéma nous fait encore croire l'inverse. L'image a de toute façon tendance à imposer une vision "hétéro" et même "judéo-chrétienne" de la société, du foyer et des relations entre personnes du même sexe ou de sexe opposé. je vous renvoie à l'interview du réalisateur et metteur en scène Olivier Py sur Ecran Noir.
    Rarement les scènes gays paraissent authentiques, "vendant" une certaine normalité (si ça existe), ou en tout cas une véritable égalité non pas des sexes (déjà un objectif difficile à atteindre) mais des sexualités.
    Au milieu de scènes intimes sans capotes (bravo Chéreau!) ou d'interprétations hasardeuses sur la sexualité de personnages chez Disney (bravo les lobbys!), le cinéma ne doit pas oublier son rôle de pédagogue, d'influence sur l'inconscient. Car les moeurs ont beau changé dans le bon sens, les réflexions et humiliations perdurent, les a priori persistent. Et font saigner bien des coeurs. On peut se féliciter du Pacs en France ou du mariage gay au Pays Bas (même s'is reprodusent paradoxalement un schéma bourgeois, hétéro, et assez déplacé dans nos sociétés), mais l'acceptation par la population a beau muté, elle reste souvent un défi au bon dialogue entre les gens. Si aimer un homme ou une femme ne fait aucune différence, nombreux sont ceux qui préfèrent rejeter plutôt qu'accueillir.

    Mets-toi tout nu si t'es un homme
    Le débat, hélas, s'installe au sein même de la communauté. Il est étonnant de voir à quel point déjà les lesbiennes et les gays se parlent plus, échangent si mal, se choisissent des lieux différents. Il est surprenant de voir que les homos ont besoin de leurs quartier, de leur "camp" à ciel ouvert pour se promener en liberté (virtuelle).
    Il faut dire que la communauté gay se divise en deux parties. La seconde est d'ailleurs peu repérésentée au cinéma, à tort. Une partie communautariste, d'abord, préfère hurler sa fierté d'être gay ou lesbienne, revendiquant avec une certaine forme d'intégrisme un pouvoir, une reconnaissance. Caricaturons, il ou elle voit des bis et des homos partout, se sent appartenir à une minorité opprimée - de fait, on fait peu contre l'homophobie souvent violente - et pense que le slip est supérieur au caleçon. Une autre partie, plus vaste, plus floue, ne s'identifie pas en fonction de son orientation sexuelle, ne sort pas forcément dans le Marais, le Barro Alto ou la rue Sainte Catherine, et choisissent une vie plus conventionnelle. Il y a ceux qui se différencient, et s'approprient des codes vestimentaires. Et les autres qui s'en foutent, et ne jugent pas forcément à l'apparence.
    Cela aboutit à des paradoxes dans l'opinion. Gazon maudit, adoré par le public, mais villipendé par les lesbiennes américaines, sous prétexte que Balasko n'avait pas le droit de faire faire un bébé à une homo. On reproche en ce moment à la série Will and Grace d'exposer un modèle de couple hétéro avec un avocat clairement gay, en le filmant toujours avec une femme et rarement avec un mec. Pire, on vient d'apprendre, par la plume de Serge Kaganski, dans Les inrocks, qu'Amélie Poulain est un film fasciste sous prétexte qu'on n'y trouve pas d'homo. Quand il insiste avec cette phrase " Où sont ceux qui vivent une sexualité différente ? ", on peut même se dire qu'il a une vision communautariste , caricaturale et segmentée de la population : qui dit d’ailleurs qu'Hippo ou le patron de Lucien n’est pas homo ? La sexualité est-elle une question d'apparence ?

    Etre homo ça ne veut rien dire...
    Téchiné disait que la sexualité c'était ce qu'il y avait de plus difficile à expliquer. car là nous parlons d'un sexualité banale; mais le monde vire SM, se fait des variations sur le même thème, et s'aime avec des accessoires réels ou mentaux. Les films gays récents sont plutôt frais, souvent drôles, parfois malsains. Le problème des gays et lesbiennes au cinéma est le même que celui des latinos, des arabes, des noirs...Comment s'affirmer dans une société uniforme? Comment ne pas subir de discrimination ou l'effet pervers de la victimisation des marginaux? Comment dépasser le ghetto, éviter les quotas?
    Les coming out courageux - et sans pression à un chantage - de célébrités et notables permettent de dédramatiser l'impact sur des jeunes à qui ça tombe sur la tête, pour qui, souvent, c'est encore tabou et anormal. L'image a un rôle à jouer.
    Car pour beaucoup, avoir une sexualité différente est synonyme de cauchemar - par étapes : révélation, acceptation par les autres, regard des autres... jusqu'au jour où l'amour embellit tout.
    Il y a alors de très belles histoires à raconter... ou à voir comme spectateurs. Le reste n'est que sémantique.

    - Juin 2001

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