Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



« Faire un film, c’est un mélange de marathon et de sprint ».

Martin Drouot, collaborateur à Ecran Noir, a rencontre Céline Sciamma, à propos de son premier film, Naissance des pieuvres, présenté à Un certain Regard cette année à Cannes. Camarade de promotion de Céline Sciamma à la fémis, Martin Drouot a pu suivre l’élaboration de Naissance des pieuvres jusqu’à sa réalisation et sa projection au Festival de Cannes La jeune réalisatrice lui a raconté l’aventure de son premier film. Conversation intime sur la naissance d'un film.



Le ton et la mise en scène

M. D. : Dans un film dont tu parlais beaucoup au début de l’écriture de ton scénario, La Vie ne fait pas peur de Noémie Lvovsky, il y aussi quelques belles scènes de fétichisation : une adolescente mange la photo du garçon dont elle est amoureuse. Au final, il y a une énergie et un ton très différents.
C. S. : Le film de Noémie Lvovsky, je trouve cela tellement bien, notamment sur une forme d’hystérie des filles entre elles – ça danse, ça chahute, ça crie – que je m’en suis peu à peu détachée pour faire mon propre film. L’aimer, c’était aussi une manière de ne pas le faire. Du coup, je n’étais pas dans la référence, et j’ai plutôt voulu faire l’inverse : Naissance des pieuvres n’est pas un film de bande, ce n’est pas un film sur l’énergie, mais c’est un film sur la solitude et la rétention.

M. D. : Pourtant à la fémis, tu disais tout le temps que tu voulais faire de la comédie !
C. S. : Mais je dis toujours que je veux faire de la comédie ! Je dois vraiment être malhonnête ! Au début, il y avait un mélange de tons, j’ai tourné des scènes de comédie, une notamment avec plus de dialogues, avec des « punch lines » mais je ne les ai pas mises dans le film. J’ai l’impression que le ton demi-teinte, hybride, n’allait pas à ce projet, à son rythme…

M. D. : C’est ce qui m’a le plus déstabilisé par rapport au scénario, cette grande austérité. Comme si la mise en scène avait rejeté tout ça. Il y a bien quelques mouvements dans la piscine, comme des caresses sur les corps en action, mais ce qui domine c’est l’observation en plan fixe d’un peu loin ou au contraire de très près sur le visage des actrices.
C. S. : Ce n’est pas une mise en scène absolue dont j’avais rêvé à l’avance, c’est venu de qui je filmais, de l’âge qu’elles ont et de la pression que je voulais mettre sur leurs épaules. Le cliché, c’est que les comédiens jeunes ne sont pas très techniques, alors il faut les laisser s’exprimer, les libérer pour pouvoir capter ce qu’ils vont offrir. Là, je n’y croyais pas. Je voulais dramatiser le moment : tourner en plan séquence, leur imposer des cadres, cela permettait un maximum de concentration et d’intensité… Je voulais filmer des moments, un temps réel, donc des plans longs et pas trop découpés. Et puis, j’ai fait très peu de prises, trois par plan en moyenne. Je voulais que ce soit un concentré. Que tout soit décisif.

M. D. : Les lieux du film jouent beaucoup dans cette esthétique très cohérente. On a une forte impression d’enfermement. On ne voit que des intérieurs limités (la chambre de Marie), on entre dans des lieux par bribes (chez Anne) et puis il y a l’unité de la piscine et les portes qu’on franchit comme autant d’étapes : porte de chez Floriane, porte du vestiaire... Cette unité donne l’impression d’un film mental. Dans la toute première version, Marie séquestrait Floriane par amour. Tu n’as pas gardé l’idée, mais tu l’as retranscrit sur le plan psychologique.
C. S. : Quelle horreur, cette idée ! Au début, je voulais que le film soit violent et j’ai trouvé un principe de narration qui raconte la violence (des flashes backs entrecoupaient l’enfermement). Cela a été rapidement abandonné, parce que c’était un peu gratuit, superficiel, mais cet impératif de violence, je l’ai rendu de façon plus insidieuse, c’est quand même plus intéressant…

M. D. : Si je devais faire un reproche au film, c’est son côté monolithique, sans doute moins gênant du fait que le film ne dure qu’une heure vingt-cinq. Les actrices jouent avec le même ton – à froid. On peut sentir un style d’auteur un peu trop visible à certains moments…
C. S. : C’est la conséquence de la peur que j’avais de me perdre en route. J’ai été très rigoureuse sur une forme d’unité, parce que je me disais que tout était réuni pour qu’on change de cap tout le temps – à chaque rencontre, à chaque changement d’humeur, de météo… Il fallait s’engager très précisément dans une voie pour être sûr de ne pas se perdre. J’ai préféré un objet cohérent plutôt que l’absence de rythme – j’étais obsédée par le rythme. Le côté visible, système, que je peux très bien comprendre, c’est un péché de jeunesse. Cela fait partie de l’histoire du film : je n’ai rien fait avant, je ne voulais pas être prise en défaut, avoir une matière bancale. Du coup, peut-être que ça manque de liberté parfois.

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