Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



La réalisatrice de Chocolat, Beau travail et Trouble every day a embarqué ses amis cinéastes, chorégraphes ou compositeurs dans une grande aventure artistique : la création d'une exposition originale dédiée à la diaspora africaine non pas en tant que traumastisme douloureux et humiliant,mais sous l'angle d'un immense apport de l'Afrique au reste du monde. Assise face à l'installation "Le fond du lac" de Yousry Nasrallah (qui évoque la construction artificielle du lac Nasser, au détriment de centaines de milliers de Nubiens ayant sacrifié leurs villages et leurs terres à ce projet), Claire Denis raconte la genèse et la réalisation de cet hymne au métissage, à la mixité et à la vie.
Ecran Noir : quelle était votre motivation d'origine pour ce projet ?





Claire Denis : Je ne parlerais pas de motivation, mais plutôt du vague espoir que je saurais faire quelque chose qui soit vivant et ouvert avec des artistes que je connais, avec qui j’ai travaillé, en qui j'ai confiance. Des gens avec qui je peux partager. C'est en tant qu'être humain que j'ai accepté cette proposition, même si elle m'effrayait. Je ne voulais pas de quelque chose de nostalgique ou de restrictif. Je voulais du mouvement, comme la diaspora elle-même, finalement. La terre s'est recouverte en douceur d'êtres humains. Même si on en a peur, on vit dans ce monde-là, on ne peut pas vouloir d'un monde qui serait figé, immuable. De tous temps, le monde s’est construit à partir de flux migratoires.

EN : Quels sont vos liens avec l'Afrique ? Quels sont vos endroits préférés sur le continent ?

CD : C'est le lieu où j'habitais petite [NLDR : elle a vécu au Cameroun jusqu'à l'âge de 14 ans]. J'aime les lieux vers Hassouan, et aussi les endroits où j'ai habité : Djibouti, le Cameroun, le Burkina Faso, le Mozambique. Mais le lien est tellement tissé dans ma vie qu'il est partout, même quand je vais à la boulangerie. La première fois que je suis allée à Hong Kong, il y a des gens qui m'ont demandé leur chemin, et c'étaient des Camerounais… Le monde est comme ça ! On est obligé de bouger pour survivre.

EN : Il s'agit de survie, dans cette expo ?

CD : Pas tant de survie que de vie, tout simplement. Mais parfois, c'est vrai, pour vivre il faut déjà survivre… L’Afrique est prédisposée à être ouverte au monde : sa corne s’oriente vers l’Asie, elle est en face des Amériques, si proche de l’Europe. Mais les Africains qui sont allés en Amérique étaient des esclaves tandis que ceux qui migrent aujourd’hui le font consciemment, volontairement.

EN : En ce moment, l'Afrique semble partout, même dans les comédies musicales (Kirikou, Le roi lion) … On a l’impression qu’elle nous rappelle nos racines.

CD : Je ne voulais pas répondre à une mode, mais proposer une expérimentation réelle. Quand j’ai commencé à imaginé ce parcours, ce n’était pas à la monde. Je crois que le propos est universel, c’est pour ça qu’il revient. Il y a toujours eu des vagues. Au début des années 80, l’Afrique était très présente dans la culture.

EN : Comment Lilian Thuram est-il arrivé sur le projet ?

Dans les compétition sportives, on parle toujours des joueurs noirs. Je me suis dit qu'il fallait que l'un d'entre eux ait son mot à dire. Lilian, c'est un homme extraordinaire. Je l'ai imaginé comme un pointillé tout au long de l'expo, comme le chemin du petit Poucet. C'est une conversation que nous avons eue chez lui, en Espagne, et que j'ai divisée en différents extraits répartis sur douze écrans. Je voulais que les gens puissent bouger, revenir. Je trouvais agréable la sensation que Lilian soit partout de manière non intrusive mais intelligente.

EN : Comment avez-vous travaillé avec les artistes ?

CD : Je leur ai laissé toute liberté car je ne voulais pas être directive. Je voulais qu'ils soient libres de s'aventurer sur le chemin qui leur plaisait. Ma seule injonction, c'était d'y aller. Je me suis juste battue pour avoir les robes de Galliano. Elles avaient défilé il y a longtemps sur un podium. C’était bien de les montrer dans toute leur beauté, retouchées, resplendissantes.

EN : Comment avez-vous pensé l'articulation entre les différents arts présents dans l'exposition ?

CD : En fait, j'ai demandé à des artistes qui sont mes amis. Je n'ai pas pensé, tiens, Mathilde est chorégraphe, Yousry est cinéaste… Jeff Mills qui a fait l’habillage sonore avait collaboré sur la musique de mon film Vendredi soir. Ce sont simplement des gens avec qui j'ai partagé des moments de ma vie.

EN : Quand avez-vous commencé à travailler sur cette exposition

CD : On me l'a proposée avant même l'ouverture du musée, il y a quatre ans. On a passé trois ans dessus. Il paraît que c'est rapide, mais ça m'a semblé au contraire très long. J’en sors littéralement épuisée !

EN : Quatre ans ? Quand on la regarde, on croirait que c'était il y a très peu de temps !

CD : Le temps aussi est une matière vivante que l'on traverse, et dont on perçoit des échos… Si j'y avais pensé il y a trois jours, je n'aurais peut-être pas eu cette joie à travailler sur cette matière. Là, j'ai travaillé dans la sérénité, ce qui est mieux. Et puis j'aurais eu horreur de répondre à une actualité, les artistes se seraient sentis engoncés dans un carcan de prédicateur… En plus, ce que l'on montre ici sera également vrai dans dix ans.


   MpM, vincy