Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Avec plus d'une vingtaine de documentaires et longs métrages à son actif, Safarbek Soliev est l'un des artisans du renouveau du cinéma tadjik. Son œuvre dévoile les réalités sociales et économiques du pays, comme Nissour un portrait attentif des habitants d'un petit village du Pamir, ou Waiting calendar, qui aborde les nombreux problèmes de la société tadjik actuelle. Pour réaliser ce long métrage de fiction, qui a parcouru les festivals internationaux, le réalisateur a d'ailleurs dû vendre une partie de ses biens. Mais il reste optimiste, et profite de son passage au festival des Cinémas d'Asie de Vesoul pour tourner avec son épouse un reportage sur l'accueil fait au cinéma tadjik. "Je veux montrer que ces films intéressent les gens", explique-t-il.
Ecran Noir : Vous avez réalisé de nombreux documentaires et reportages qui traitaient souvent des réalités du Tadjikistan. Avec Waiting calendar, qui s'attache au quotidien d'un petit village tadjik, vous avez opté pour la fiction, mais une fiction qui reste malgré tout à mi-chemin du documentaire…





Safarbek Soliev : Oui, c'est un hybride entre fiction et documentaire, vous avez raison. J'ai opté pour ce parti pris esthétique car c'est le seul qui était possible en fonction des conditions de tournage, à savoir le format numérique et un budget réduit. C'est pourquoi le film a de nombreux aspects documentaires, comme le peu de changements d'axe. Par contre, on retrouve tout de même des éléments de fiction comme la musique extradiégétique et la présence d'acteurs professionnels. Mais j'ai justement travaillé avec eux dans cette même direction documentaire : je leur ai demandé d'éviter le pathos et de jouer au contraire très simplement, comme de simples gens. Ce qui a également été important, c'est le choix du chef opérateur qui est un maître du cinéma documentaire. Il était donc mal à l'aise avec les gros plans et les mouvements de caméra, ce qui me convenait parfaitement.

EN : La fiction vous permet d'agrémenter le film de quelques éclairs de poésie, voire de fantaisie, qui allègent le propos…

SS : En effet, certains passages ne sont pas très quotidiens, comme le moment où les hommes dansent, mais aussi l'image de la jeune femme devant l'icône religieuse. J'ai voulu ajouter ces notes un peu absurdes et poétiques pour que l'on ait un peu d'espoir à la fin du film. Mais j'en ai mis très peu pour garder la tonalité globalement réaliste.

EN : La ballade qui mène l'un des personnages d'un bout à l'autre du village semble un prétexte pour aborder des thèmes précis en rapport avec la réalité du pays. Peut-on dire que Waiting calendar est une sorte de résumé du Tadjikistan actuel ?

SS : Oui, c'était conçu ainsi dès le scénario. Sur ce chemin qui mène le personnage jusqu'au tombeau de son père puis de retour dans la maison de son ami, il rencontre des gens qui représente des couches et des statuts sociaux différents, qui ont des problèmes divers : l'émigration de travail, le manque d'électricité, le manque d'information médicale… Toutes ces rencontres forment un tableau du Tadjikistan.

EN : Il y a notamment une scène absolument ahurissante, où quelques amis se mettent à parler du sida au cours d'un repas. On se rend compte que la plupart n'a aucune idée de ce qu'est, ni de comment ça s'attrape…

SS: C'est un véritable problème au Tadjikistan. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui nous empêchent de montrer le film là-bas. Le sida est un sujet tabou, on n'en parle tout simplement pas ! En France, cette scène peut sembler outrée, mais elle est réaliste. Les jeunes Tadjiks qui partent travailler un an à l'étranger ne sont pas prévenus du danger, ils ne savent donc pas comment s'en protéger.

EN : Dans quelles conditions avez-vous tourné ?

SS : Des conditions assez compliquées… Nous avons tourné dans le village où est née ma mère, un lieu très peu accessible quand il y a de la neige. Nous avons donc tout préparé à l'avance. Par exemple, on savait qu'il ferait froid, nous avons donc prévu du charbon et des plaques de verre pour boucher les fenêtres. De plus, là-bas, il n'y a pas d'électricité, à part deux heures le matin et le soir. Nous avons donc dû emmener également un groupe électrogène. En tout, nous étions une quarantaine de personnes quasiment pas payés. Il faisait un froid mordant mais j'avais choisi cette période exprès car on voit le printemps arriver, comme un message d'espoir.

EN : Vous attendiez-vous à un tel succès pour le panorama du cinéma tadjik organisé lors de cette édition du festival de Vesoul ?

SS : Je ne m'étais pas posé la question… Dans ma jeunesse, le cinéma était un art populaire. Quand on sèche les cours, on va au cinéma. Donc je suis content qu'il y ait tant de jeunes dans les salles. C'est important que les jeunes voient ces films car le cinéma n'est pas seulement un passe-temps, c'est un art. Il ouvre l'esprit à d'autres cultures et valeurs, ce qui est primordial.

EN : Vous étiez l'un des membres du jury international, quels ont été vos critères ?

SS : C'est la première fois que j'étais dans un jury et avant de commencer, je croyais tout savoir sur les raisons qui me font apprécier un film : l'éclairage, le cadre, les dialogues, la bande-son… et la cohérence de l'ensemble face à la vision du cinéaste. Et finalement, je m'aperçois que je ne sais rien… Je crois que c'était une erreur de la part du festival que de m'inviter en tant que membre du jury ! (Il rit) En tout cas, il y avait de très bons films, très agréables, et beaucoup de gens merveilleux. Ce qui m'a le plus touché, c'est l'atmosphère du festival. Ici, les gens aiment le cinéma et le prennent au sérieux.


   MpM