Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





La voix humaine. Un appartement au fond d’une impasse du quartier Bastille. Une pièce à la décoration dépouillée où trône un canapé de velours rouge. Assise dessus, une actrice blonde qui semble sortir d’un film d’Hitchcock, de Lynch ou d’Almodovar. D’une grande beauté, elle fume des cigarettes fines tout en parlant. Le visage lisse de Micky Sebastian invite à l’ombre comme à la lumière et suscite le fantasme des metteurs en scène. Au cinéma : Jean-Michel Ribes, Michel Drach, Claude Lelouch, Jean-Marie Poiré, James Ivory… Au théâtre : Robert Hossein, Raymond Gérôme, Jean-Pierre Bouvier, Jean-Luc Moreau… Micky Sebastian interprète aussi des héroïnes télévisuelles (Avocats et associés, Marion Jourdan, Sur le fil…) et prête sa voix aux stars hollywoodiennes. Dans Sex and the city, elle est la VF de Kim Catrall alias Samantha la croqueuse d’hommes. Pour Ecran Noir, elle parle du doublage, ce métier méconnu dans l’univers de la comédie. Il faudrait pouvoir joindre la bande son à cette conversation tant la voix de Micky Sebastian est à son image : grave et enjouée, rapide et profonde. Belle, totalement.
Ecran Noir : Avant notre rencontre, j’ai revu l’ouverture de Femmes au bord de la crise de nerfs d’Almodovar quand Carmen Maura double Joan Crawford dans Johnny Guitar de Nicholas Ray. Chaque plan du film est alors disséqué en fonction des dialogues. Est-ce que votre expérience du doublage a intensifié votre sens du langage cinématographique et influencé vos choix de cinéphile ?




Micky Sebastian : C’est étrange. Jamais personne ne m’a posé cette question. Si c’est le cas, alors ce phénomène s’est produit d’une façon inconsciente. Lorsque l’on double, on visionne des bouts de séquences que l’on voit et l’on revoit en fonction des prises. Plus encore que la mise en scène, toute l’attention se porte sur le jeu de l’acteur. D’une façon presque obsessionnelle, on traque une intonation, une inflexion de voix avec le souci de ne laisser échapper aucun détail. Donc, je ne sais pas si le cadre, le mouvement de la caméra influencent mon regard…

EN : Quand on voit et que l’on revoit un film, je trouve que le corps trahi autant l’acteur que sa voix. Les corps des comédiens révèlent leur instinct ou leur cérébralité. Cernez-vous particulièrement la psychologie d’une comédienne quand vous la doublez ?
MS : En doublage, on entre dans le corps de l’acteur en oubliant son propre corps puisqu’il est plongé dans le noir. Ce qui me permet d’interpréter des personnages qui ne correspondent du tout à mon emploi, à mon physique, à mon âge. C’est le privilège de la voix par rapport au corps. Elle offre un spectre d’interprétations beaucoup plus vaste alors que le corps condamne à l’apparence. C’est peut-être pour cela que l’exercice du doublage est méprisé parfois, incompris le plus souvent. Le corps de l’acteur de doublage n’occupe pas un espace, ne cède pas aux déplacements. Quand on double, on est debout derrière un micro. Le corps n’a pas d’importance car toute l’émotion passe par la voix.

EN : C’est aussi une grande liberté que de ne pas être exposé physiquement…
MS : Bien sûr, mais chaque chose porte son contraire. Le doublage offre une immense liberté qui fait tomber la timidité et les inhibitions, mais apporte aussi une grande frustration. Je ne pense pas qu’un acteur ne faisant que du doublage soit totalement épanoui car il n’est qu’une voix plongée dans le noir. Aucun comédien ne choisit ce métier pour demeurer dans l’anonymat et l’obscurité.

EN : Pendant une séance de doublage, combien de comédiens sont regroupés devant l’écran ?
MS : Si le son le permet, nous pouvons-nous retrouver à quatre ou à cinq. Pendant une scène chorale, lorsqu’il y a des « chevauchements » de répliques comme il est dit dans notre jargon. Les voix sont alors enregistrées sur plusieurs pistes pour faciliter le mixage. À chaque fois, c’est la véracité de la scène qui compte. C’est pour cela qu’il faut parvenir à plonger les comédiens de doublage dans un contexte le plus proche possible de celui d’un tournage.

EN : En doublage, vous êtes sous la houlette d’un directeur de plateau. Est-ce que la qualité du directeur de plateau influence, voire améliore votre jeu ?
MS : Absolument. J’ai eu la chance de diriger des plateaux pendant quelques années, et j’ai ressenti un plaisir que je ne soupçonnais pas. La fonction du directeur de plateau est aussi essentielle que celle d’un metteur en scène de théâtre ou de cinéma. En règle générale, c’est le directeur de plateau qui choisit le casting du doublage. Il est un véritable chef d’orchestre. Parfois, il peut choisir un timbre qui diffère de l’original. Et pourtant, le résultat final est excellent car c’est la justesse de l’énergie exprimée par la voix qui prime. Un bon directeur de plateau permet au comédien de mieux écouter une brisure, d’entendre autrement une inflexion de voix et de restituer cette émotion au plus pointu.

EN : François Truffaut disait qu’un film que l’on entend mal est un film que l’on voit mal. Quant à Alain Resnais, il juge de la qualité en l’écoutant sans le voir…
MS : Je les comprends tout à fait... Je reconnais que mon oreille est déformée professionnellement. Il m’arrive d’écouter un film et d’en ressentir les disharmonies, les dissonances car les voix sont placées trop en avant ou en retrait.

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