Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



CIEN AÑOS.
Le 11 décembre 2008, Manoel De Oliveira a eu cent ans. Cien años ?... Peut-être pas car les états civils portugais étaient plus que flous au début du XXe siècle. Alors cent ans peu ou prou, qu’importe.

Le miroir magique, 46e film de cet immense cinéaste, sort en France cette semaine alors qu’il a été tourné en 2005 avant Belle toujours et Christophe Colomb, l’énigme. Décidément, le temps joue des tours au Maître du 7è art. Comme l’écrit Jean Cocteau : « Le temps est élastique. Avec un peu d'adresse, on peut avoir l'air d'être toujours dans un endroit et être toujours dans un autre.».
Écran Noir a désiré fêter l’anniversaire de Manoel de Oliveira non pas avec lui, mais avec un autre. Mais pas n’importe quel autre. Un hôt(r)e de choix. Renato Berta, le directeur de la photographie qui collabore six fois avec le metteur en scène portugais.

Renato Berta signe aussi la lumière et le cadre des films de Louis Malle (Allons enfants pour lequel il obtient un César en 1987, Milou en mai), Alain Resnais (Smoking, No smoking, On connaît la chanson), Alain Tanner (Charles mort ou vif, La Salamandre…), Daniel Schmidt (Hécate, Hors saison…), Amos Gitaï (Kadosh, Alila…), André Téchiné (L’atelier, Rendez-vous), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (Le retour du fils prodigue - Humiliés, Ces rencontres avec eux), Robert Guédiguian (Marie-Jo et ses deux amours, Le promeneur du champ de Mars), Patrice Chéreau (L’homme blessé), Jean-luc Godard (Sauve qui peut la vie), Claude Chabrol (Merci pour le chocolat)…

Originaire du canton du Tessin en Suisse, Renato Berta s’exprime avec un accent élégant qui fait s’écouler plus lentement les consonnes et s’ouvrir plus larges les voyelles.Toujours en voyage ou en repérages, il s’est posé un après-midi de janvier chez lui. Sous les toits de Paris du quartier Bastille. Comble pour un directeur de la photographie, il n’a pas allumé la lumière et la conversation s’est terminée dans la pénombre. Sa tête devenue une découpe sombre sur un fond bleu nuit avaient laissé s’échapper les souvenirs d’Irène Papas, Michel Piccoli, Marcello Mastroianni, Christine Pascal, Luis Miguel Cintra, Leonor Silveira, Marisa Paredes et, bien sûr, de Manoel De Oliveira.
Feliz aniversário Maestro !

EN : De Oliveira possède un regard d’aigle et en même temps une candeur enfantine dans son sourire…
Parlons à présent de Voyage au début du monde (1997). Un film magnifique, émouvant à plus d’un titre. Il raconte un voyage. Celui d’un réalisateur reconnu qui revient sur les traces de son enfance. C’est également le dernier long-métrage de Marcello Mastroianni.

RB : C’est un film auquel je suis particulièrement attaché. Le premier jour du tournage, nous avons tourné une séquence de voiture. Je revois Marcello qui arrive. Il salue l’équipe. Prend place dans le véhicule. Une voiture, c’est déjà un espace très intime, alors vous imaginez avec une caméra…
Quand le clap sort du champ et que Mastroianni commence à parler, trente ans de cinéma me sont revenus en pleine figure ! Une émotion m’a submergé. Un choc terrible. Je suis sorti du véhicule au bord des larmes. Pourtant, à la lecture du scénario, j’avais du mal à imaginer Marcello interprété des tirades si longues en français. Mais dans sa bouche, le texte de Manoel est devenu une pure merveille. C’est vraiment l’un des plus grands comédiens que j’aie jamais rencontré.
Pendant le tournage, il était particulièrement sollicité parce que Anna Maria Tatò, sa femme, tournait en parallèle Marcello Mastroianni : I Remember avec Giuseppe Rotunno à la lumière. Pour moi, le plus grand chef opérateur de la terre !

EN : Donc, il flottait un vrai parfum d’Italie sur Voyage au début du monde…
RB : Oui, beaucoup d’Italie. Comme avec Irène Papas, il s’est posé à nouveau le problème de la cuisine ! Pour la sauce des spaghettis, je me rappelle un soir où nous étions à la recherche de romarin. Au Portugal, cette plante est décorative, mais pas du tout utilisée dans la gastronomie. Soudain, je me suis souvenu avoir vu du romarin dans un jardin. Aussitôt, je suis allé cueillir des branches pour aromatiser la sauce des pâtes !

EN : Pourquoi Voyage au début du monde occupe-t-il une importance particulière dans votre filmographie ?
RB : Une semaine après le début du tournage, Manoel devait partir au Festival de Cannes. De mon côté, je devais rejoindre Bob Wilson et Patrice Chéreau à Paris pour filmer quelques images produites par Robert Doner, l’époux de Christine Pascal. Je venais de tourner avec elle Adultère (mode d’emploi). C’est pendant ce séjour parisien que j’ai appris le suicide de Christine. Moment cauchemardesque. Je n’ai pas pu assister aux funérailles car je devais regagner le tournage de Voyage… au Portugal. Et là, nous avons tourné les fameuses séquences au bord du fleuve. La mort de Christine, la maladie de Marcello, le texte de Manoel qui évoque les assauts du temps, la route de la vie qui soudain semble se rétrécir... Quel tourbillon pour moi que la fabrication de ce film !

EN : Avez-vous des souvenirs précis de ce tournage ?
RB : Dans ce film, les scènes en voiture sont très nombreuses.

EN : Et c’est Manoel de Oliveira qui joue le chauffeur !
RB : Oui, il m’avait donné un découpage assez précis de ces séquences. Rien n’est plus difficile que de filmer des intérieurs dans une voiture qui roule. Comme la lumière change constamment, les raccords des champs contre champs deviennent un vrai casse-tête. Devant une telle difficulté, j’ai proposé à Manoel d’utiliser une grosse voiture, genre 4X4. Puis, deux caméras pour gagner du temps lors des changements d’angle. J’ai affiné mes arguments en lui disant qu’il pourrait diriger le tout à la place du chauffeur. Et c’est comme ça qu’est née l’idée qu’il joue ce rôle ! N’oubliez pas que, dans sa jeunesse, il a piloté des bolides avec son frère Casimiro. D’ailleurs, c’est à la mort de Casimiro suite à un accident de voiture que Manoel a cessé la compétition automobile.

EN : Le chauffeur, à l’instar du metteur en scène sur un tournage, est le maître de son véhicule. Dans Voyage au début du monde, il devient un espace à deux caméras pour le dernier voyage d’un immense acteur…
RB : Cela me rappelle les séquences autour du feu de cheminée. Il faisait alors un froid terrible. Les caravanes des comédiens n’arrivaient pas. Pendant l’installation des projecteurs, Marcello me demande s’il pouvait rester près de l’âtre pour se réchauffer. Aucun problème, bien évidemment ! Il s’assoit. Pose son menton sur ses béquilles. Somnolant à demi, il regarde de temps en temps l’équipe du coin de l’œil. Soudain, il se lève. Entre dans le champ de la caméra. Surpris, je le regarde. Il me dit alors : « Renato, je sais quand tu as besoin de moi…». Et là, encore une fois, j’en ai ramassé plein la gueule ! Vous imaginez l’élégance de ce comédien qui regarde le travail d’un opérateur et qui SAIT quand on a besoin de lui ?!... C’est… (l’émotion étrangle sa voix)

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