Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



L’œil du témoin

Un film s’écrit, se tourne et se monte. Trois écritures pour un seul résultat à l’écran. La femme que je rencontre rédige depuis plus de trente ans la troisième version des oeuvres de Claude Chabrol. Chef monteuse images et son, Monique Fardoulis regarde la première et comme personne l’une des filmographies les plus subtiles, les plus marquantes du cinéma français.
Il fait beau ce jour-là. Chabrol fête ses cinquante ans de cinéma. Bellamy est d’ores et déjà un cru millésimé. Depardieu y est plus féminin que jamais. Elle m’attend devant un café dans la salle du restaurant des Studios de Boulogne-Billancourt. Blonde, les cheveux au carré, menue, élégante dans un jeans et une veste de fourrure noire. Quand elle me voit arriver, elle tourne son visage. Me sourit. À ce moment précis, si Monique Fardoulis voulait se faire passer pour la sœur de Mireille Darc, tout le monde la croirait !

EN : Vous travaillez avec quels metteurs en scène avant votre collaboration quasi-exclusive avec Claude Chabrol ?

MF : Très peu. J’ai travaillé avec Edouard Molinaro, André Michel le metteur en scène de La sorcière qui révèle Marina Vlady et Maurice Ronet. Je collabore aussi avec Nicolas Gesnert qui réalisera beaucoup plus tard la saga télévisée Le château des oliviers avec Brigitte Fossey, Jacques Perrin et Georges Corraface. Quant à l’exclusivité avec Chabrol dont vous parlez, il ne faut pas oublier que Claude a toujours beaucoup tourné. Dans les années 1960 et 1970, il lui arrive de réaliser presque trois films par an !

EN : À ce rythme-là, c’est un metteur en scène très envahissant !

MF : Exactement ! (rires) J’ai commencé à travailler avec Claude sur Landru. J’étais encore assistante… C’est un film pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Je l’adore…

EN : Charles Denner est excellent et incroyablement bien entouré de toutes ses victimes : Danielle Darrieux, Michèle Morgan…

MF : Et Hildegard Knef, l’actrice allemande qui lance à Landru : "Ah, Monsieur, ma situation est cornélique !". À chaque film de Claude, il y a toujours une réplique qui me reste…

EN : Dans Bellamy, Gérard Depardieu dit : "Il ne suffit pas d’avoir raison pour être heureux.". C’est d’une telle vérité… Elle me fait penser à la célèbre réplique de La règle du jeu de Jean Renoir : "Le plus terrible dans ce monde, c'est que chacun à ses raisons". Pour quel film de Chabrol devenez-vous chef monteuse ?

MF : Au milieu des années 1970. Je ne sais plus si c’est sur Folies bourgeoises ou sur Les magiciens.

EN : François Truffaut aimait à répéter à ses collaborateurs sur certains tournages : "Protégez-moi, protégez-moi !". Chabrol semble avoir la même attitude tant il tourne en famille. Dans sa douce mafia, il y a Aurore, sa femme et sa scripte. Cécile Maistre, sa belle-fille et son assistante à la mise à la scène. Matthieu Chabrol compose la musique et son autre fils Thomas apparaît régulièrement dans ses œuvres. Lorsqu’il est sur un plateau, j’ai l’impression que tous forment une gangue autour de lui…

MF : Tout à fait. Chacha, comme nous le surnommons, s’arrange pour être encerclé de fidélités jusqu’au montage !

EN : Et sur un tournage, même s’il tourne avec une célébrité, la star, c’est lui !

MF : Exactement !

EN : Chabrol tourne à l’économie. Il fait très peu de prises tellement il sait ce qu’il veut.

MF : Pendant le montage qui s’effectue en parallèle du tournage, je reçois tout au plus deux ou trois prises lors d’une séquence difficile pour le comédien. Parfois, je n’en ai qu’une. Si jamais il se passe un problème de développement au labo, c’est très risqué. Il n’y a pas de recours. Heureusement, cela n’est jamais arrivé.

EN : Vous envoie-t-il des échos pendant l’écriture d’un scénario ?

MF : Non, presque jamais. Sauf quand Odile Barsky écrit avec lui parce que nous nous connaissons bien toutes les deux. Il s’entoure aussi des mêmes scénaristes, mais écrit toujours les dialogues. C’est son truc, sa patte…

EN : Quand vous recevez un nouveau scénario de Chabrol, que ressentez-vous ?

MF : Une excitation à chaque fois.

EN : Vous vous dites : "Tiens, tiens, le dernier Chacha est arrivé !"…

MF : Voilà, quelque chose à peu près comme ça ! (rires) Quand on lit un scénario de Claude, on voit déjà les images.

EN : Est-ce qu’une écriture aussi précise n’est pas frustrante pour une chef monteuse ?

MF : Non, absolument pas. Au contraire, c’est très amusant car cette précision aiguise mon imaginaire. Et souvent, quand les prises me parviennent lors du montage, elles correspondent assez bien à l’idée que je m’en faisais.

EN : Il vous demande votre avis ?

MF : Sur le scénario ?... Non, jamais. En revanche, une fois le film monté, il vient près de moi et glisse : "Tu crois que le public va comprendre mon intention ?...". Je le rassure en lui certifiant que si je l’ai comprise, les spectateurs devraient à priori y parvenir !

EN : Cette notion de compréhension le tourmente ?

MF : Non, pas à ce point-là. L’inquiète un peu tout au plus, mais je crois que c’est une impression fugace… Au point où il en est de sa carrière, il n’a plus grand chose à prouver.

EN : Derrière son physique de crapaud aux yeux malicieux, vous ne sentez pas d’angoisse ?

MF : C’est difficile de répondre à cette question… Personnellement, je sens chez Claude une certaine d’angoisse, mais il sait donner le change. Il y arrive très bien même sur certains tournages difficiles. Par exemple, son rapport avec Romy Schneider dans Les innocents aux mains sales avait été compliqué. Elle y est malgré tout sublime, mais peut-être trop à fleur de peau, pas assez distanciée pour l’univers de Claude…

Page précédentePage suivante