Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Artiste, Reine de la petite reine, réalisatrice sympa et souriante... Manon aux sources, briand et son premier film, Deux secondes, star du FFM 1998.
Nouvel exercice pour cette fonçeuse.
Manon Briand a l'allure d'un garçon manqué. Jambes écartées, manières de mec, sympathique de premier abord. Heureusement elle a le sourire, le rire même, et une légère étincelle dans les yeux qui en font bien une femme.




Pantalon de cuir et chemise ample par dessus, elle communique sa joie - il faut dire que "2 secondes" a reçu son lot de louanges - en pure québécois, avec accent et expressions...ce qui en rajoute dans le côté sincère.
Bref ce sera un bon moment. Manon étant de ses artistes qui ne vous snobent pas, vous reconnaissent, vous remercient. Bref un peu de bonheur dans ce Festival de putes...

L'actrice ne fut pas un choix évident
Tout le film repose sur les épaules (et les cuisses) de l'actrice principale, Charlotte Laurier. Pourtant Manon briand avoue que "ce n'était pas un choix évident. J'avais oublié Charlotte alors que je l'admirais. Quand on commence les auditions, on est plongé dans un environnement immédiat et Charlotte n'était pas présente. On a oublié de m'en parler. C'était juste un oubli. L'objet était hors de ma vue et je croyais qu'elle n'existait plus."
Charlotte s'entraînait pour de la course: elle n'était pas dans les catalogues. Manon ne l'avait vu dans aucun films récents. Heureusement, la comédienne s'est présentée lors d'une des dernière sessions. "Elle est entrée dans la salle et là ça a été immédiat." La réalisatrice fut sauvée. Elle avait failli faire un choix sans avoir de coup de foudre... "Ça ne pouvait être personne d'autre. Je voulais un personnage très vulnérable lorsqu'elle est à pied et un démon invulnérable dès qu'elle monte sur son vélo, capable de faire des choses monstrueuses comme dévaler un ravin à 100 km/h. Cette espèce de fragilité, Charlotte l'incarne très bien, toute menue et timide."

Roger Frappier, producteur
Depuis Cosmos, elle fait partie de l'écurie Frappier. Grand producteur québécois récemment honoré à Cannes.
"Au départ il y avait un scénario de vélo. Tout ce que je savais c'est qu'il y avait une fille messagère dans le film." Briand faisant du vélo, et portant elle-même ses colis, elle était souvent assimilée à ces messagers, pour sa plus grande fierté.
"Je travaillais donc sur ce scénario, avant Cosmos, quand Roger Frappier m'a appelée pour faire Cosmos. Donc je l'ai abandonné un peu le temps de faire Cosmos." La relation professionnelle se passant bien entre le producteur et la réalisatrice, Manon a rapatrié ses projets chez Max Films.
"J'arrivais pas à trouver une histoire. J'avais une théorie, plein d'idées mais je n'avais pas l'histoire." Or, c'est la base de tout. Les thèmes doivent venir après. "Mais moi je travaille à l'envers." des séances de brainstorming furent organisées et c'est ainsi que Manon Briand a trouvé ce qu'elle voulait exprimer avant tout ("son amour pour les vélos").
"Là on m'a dit: "Lâche tout le reste, laisse les théories, et écrit un film là dessus!" Et là ça m'a libéré. Puis là j'ai écrit un film plaisant, divertissant." Et ce malgré ses scrupules à écrire un film "juste le fun", simplement agréable. "Je voulais absolument mettre plein de choses intelligentes là dedans, j'avais plein de théories...Et puis j'ai commencé par écrire une histoire."
Le personnage de Lorenzo est alors créé, synthèse de tas de mécanos du vélo que Manon a croisé dans sa vie...Là tout s'accélère. Deux mois d'écriture pour la première version du script. Frappier l'a adoré tout de suite...

Les origines du film
Si le film est porté par la comédienne aux cheveux ras, l'histoire est beaucoup plus viscérale...Manon Briand est une fan de vélo. "Ça faisait longtemps que je voulais faire un film sur le vélo. C'est quelque chose qui me passionne. Et c'est aussi parce que j'aime les personnages qui sont passionnés parce qu'ils donnent dans la démesure, dans la folie." Et il en existe des plus maniaques qu'elle...
"C'est très cinématographique de transposer de tels personnages à l'écran." Mais Manon Briand voulait surtout s'en servir comme prétexte pour parler d'autres choses, "de faire de la poésie sur le temps et la relativité du temps, le destin, sur l'amour..." Ce qui donne un film léger sur des sujets graves.
"J'avais décidé d'aller vers un film qui laisse les gens heureux à la fin. J'espérais ça. C'était pas garanti. Peut être que les gens auraient été choqués par la fin. Je voulais un film qui se termine bien parce que presque tous mes autres films se terminaient mal, dans le drame."

Le Paradoxe des Jumeaux
C'est le thème central et l'idée originelle du film. "Au départ il s'agissait d'une allégorie sur le paradoxe des jumeaux. Lorenzo et Laurence (Laurenza) c'est comme 2 jumeaux qui ne se reconnaissent pas parce qu'ils ont été séparés pendant 30 ans. C'est donc ma façon imagée de les remettre dans un temps identique, dans un temps virtuel, de les faire rencontrer la même fille avec 30 ans d'écart, et d'avoir la même expérience."
En effet Lorenzo choisira de poursuivre sa course et devenir champion, abandonnant ainsi la plus jolie fille qu'il ait jamais croisé. Et Laurence elle fera le choix inverse, abandonnant le vélo pour les beaux yeux de la même jolie fille. "C'était ramener ce temps là dans le même espace. Laurence perd 2 secondes mais elle gagne l'amour alors que Lorenzo gagne la course mais perd la fille." Dans le film, c'est le frère de Laurence qui explique la théorie de la relativité du temps: "Y en a un qui a veilli de 30 ans en restant sur terre et l'autre qui n'a pas vieillit en allant dans l'espace. Mais aucun des 2 ne peut dire lequel est le plus vieux.
A partir de cette théorie, Manon Briand a écrit un film tout en dualité, avec que des duos. "Le frère est dans la physique, elle est dans le physique. Sa mère est devenue sa fille parce qu'elle a l'Alzheimer, et la fille est sa mère. L'Alzheimer c'est aussi une maladie bizarre. Plus on vieillit, plus on rajeunit." Intellectuel? plus qu'on ne le croit. Briand est une cérébrale, une curieuse. Si elle puise dans sa vie (sa grand mère a eu l'Alzheimer), elle ne peut pas s'empêcher de faire un film qui est plus qu'un divertissement.

"La passion qui isole"
Briand voulait montrer, parmi ses sujets graves cet isolement causé par une passion [ici le vélo, mais ça peut-être les jeux vidéos, les livres...]: "C'est le sentiment de solitude né de cette passion là, qui fait tellement souffrir et qui isole. J'ai poussé à l'extrême avec Laurie, qui est carrément abandonnée. Elle "fitte" pas dans le décor avec les messagers, sa mère ne la reconnaît même plus, et son frère est dans un tel autre monde qu'elle n'a aucune communication possible." Son vélo retse son meilleur ami.
"Finalement la personne la plus improbable qu'elle rencontre, celui qui l'envoie carrément paître, c'est celui qui va devenir le plus proche d'elle." En rendant cette solitude extrême, leur rencontre devient très forte, essentielle à leur bonheur.

Pré-production
Manon Briand utilise le web essentiellement pour ses recherches. Ex élève aux beaux arts, elle se "documente beaucoup sur les textures d'images" qu'elle aime. "Je prend des notes visuelles. Je montre des photos au Directeur de la photographie. Pareil pour les costumes. Je me fais des "scrapbooks" pour toutes les choses que j'aime et que je veux voir: des couleurs particulières, des styles de vêtements, des coupes de cheveux..." Sauf le canapé rouge-orangé, qui est du goût (discutable) du directeur artistique.
La réalisatrice avoue que ce qui l'angoisse le plus est le découpage du film. "C'est un apprentissage permanent: où placé la caméra, dois-je la bouger ou la laisser statique, quel cadre utiliser, plan large ou pas, etc...Alors je dessine mes cadres." Sans suivre strictement son storyboard, elle sait qu'il existe et elle le considère comme un filet de rattrapage au cas où elle n'a pas le temps durant le tournage.
"Lorsque j'ai tout dessiné, je peux voir le film. Après je peux improviser, en rajouter, ou en enlever, ou changer des plans pour d'autres, on remplace 5 découpages par un plan séquence." En fait ses dessins servent à la rassurer face à sa faible expérience en matière de tournages.
Beaucoup de scènes ont été d'ailleurs coupées. "Certaines ont été raccourcies pour le rire. Il y a une scène où Lorenzo allait dans un café voir le Tour de France. Ça s'insérait mal. On a préféré le laisser dans une boutique tout le long, jusqu'à la scène finale..."

Mécaniques
Il y a deux ressorts utilisés pour rythmer ce film véloce: les effets visuels et l'humour.
"Je suis pas très friande des effets visuels mais ici c'était nécessaire pour la magie, pour expliquer la relativité du temps...
Pour l'humour, "y a des moments où je sais que ça marche. Par exemple, la scène sur le supplice, les gens l'aiment. Elle a un changement de rythme à 2 ou 3 endroits. Mais elle est immensément longue, un peu casse-cou."
"Au scénario, on disait que c'était étrange. Après de nombreuses petites scènes syncopées, on amenait tout d'un coup à cette immense scène de 17 minutes. C'est pas standard, c'est pas dans les normes du scénario. [Pourtant Mr Smith goes to Washington de Capra utilise le même procédé...].
Elle a donc subit de nombreux commentaires, lui demander de changer ça. "Mais je n'avais pas d'autres moyens que de le faire comme ça et je voulais le faire comme ça..." Et ça clique avec le public! "C'est la scène phare, la scène suprême de ce film là. Mais ça réside beaucoup dans la chimie entre les 2 acteurs [Laurier qui écoute et Tavarone qui raconte], et comment le rendre."

On the set
"Le tournage ça a été super-difficile! Le budget est correct, 1.8 millions de $. C'est un petit budget pour un long métrage, c'est un très petit budget pour un film d'action. Il a fallu se priver de beaucoup d'action, de faire beaucoup avec peu."
Tourner en centre-ville avec les voitures, surtout avec un vélo; difficle de mettre une caméra qui pèse 4 fois plus lourd que le vélo; compliqué d'utiliser des caméras extrêmement mobiles...
"Le tournage a duré 30 jours en tout. 4 jours pour les Etats Unis et 26 jours à Montréal. Pour faire vraiment bien, on aurait certainement aimé en avoir un peu plus...5 ou 6 jours de plus, ça aurait été plus confortable, mieux travaillé..." La réalisatrice n'est pas déçue du résultat, mais elle aurait avoir plus de scènes d'actions, mieux tournées.

Sur un air de Portishead
Autre point fort du film, et qui sert ce fameux rythme, la musique. Et autre sujet d'angoisse pour la créatrice (perfectionniste). "Je suis hyper sensible à la musique. Ça a été assez compliqué de choisir les bons musiciens. C'était comme faire une audition avec des acteurs. Faut pas se tromper. Je me suis trompée. On a donc recommencé. J'avais une idée très très précise de ce que je voulais. Durant le montage, j'étais très influencée par la musique de Portishead. Je voulais cette texture là de trip-hop. Je voulais que ça fasse spatial. Comme la musique des années 60 dans les films futuristes." Pas facile à expliquer. Elle recherche ses termes. Elle a des exemples. Et finalement elle trouve ses musicos. Mais ce n'est pas facile: "Parce qu'il y a la musique qu'on entend et il y a la musique qui doit transporter une émotion, qui est juste là pour souligner des choses. C'est 2 types de musiques totalement différentes." Là encore elle a appris..."Il y a des choix de musique auxquels j'ai pensé et en les collant sur l'image, ça marchait plus du tout." Et puis le petit budget ne lui a pas permis d'acheter les droits de certaines chansons.

Ambiance Tour de France
Allant jusqu'au bout de sa passion, Manon Briand est une spectatrice assidue du Tour... Son film sort l'année où l'épreuve reine de la petite reine s'est enlisée dans un scandale de dopage.
"Cette année il n'y a pas eu un problème de dopage! C'est tous les ans qu'il y a des petits problèmes de dopage. Il y a une telle hypocrisie là dedans... Qu'ils le soient dopés! Si on veut ce spectacle là, qu'on assume. Autrement il faut accepter que le spectacle va diminuer."
"Il y a eu une porte ouverte pour un débat possible. Mais à chaque fois c'est pareil. Et c'est pas juste pour le cyclisme. On ouvre la porte, on fait croire qu'on lave un petit peu parce qu'on pointe 2-3 personnes, on est content, on a nettoyé, et puis on ferme la porte et l'espoir est beau. Ça ne va jamais plus loin que ça."

Et pour conclure le FFM...sans ambiance
"J'attend rien de ce festival. J'ai reçu beaucoup, j'ai reçu une immense publicité. Je ne peux pas être plus heureuse."
"Hier soir c'était magique. On a été très bien reçu." Même si la bande a cassé..."J'ai fait un arrêt du coeur pendant 5 minutes. Mais on a pu le repartir. Ça a un peu endommagé la copie."
Le matin, lors de la première projection, elle était trop nerveuse et ne savait pas comment interpréter la réaction du public: "J'essayais de voir si les pointes d'humour marchaient. Mais il y a des moments où c'était insupportable de rester dans la salle et d'avoir un doute sur la façon dont les gens perçoivent les choses."
Sans aucun moyen de comparaison puisqu'il s'agissait de sa toute première projetcion, "je ne connaissais pas le sens de ces applaudissements. Est-ce que c'était bon, moyen, très très bon?"
Ça a juste donné 4 Prix au FFM, et les louanges de la Critique et du public...


Et est-ce qu'on dope les interviewés pour réussir leur marathon d'entrevues? "Je suis prête à passer un test! Je bois beaucoup de café, c'est sûr que ça augmente un peu les performances!" # Interview le soir de la remise des prix du FFM...

Sortie de scène, Manon Briand se fait interviewer par mon amie collègue de TV Ontario, Marie T. (de l'excellllente émission Cinécure). Le film de Lelouch est en train de commencer. On sort de la salle. Et hop, on prend au vol la petite reine de la soirée, alourdie de 4 prix: idéal pour faire des haltères.

Comment tu te sens après cette remise de prix ?

MB: Je me sens en état d'anaérobie, avec l'acide lactique qui tombe dans les jambes, après plusieurs kilomètres d'exercice intense et émotif...

Tu t'attendais à ce succès ?

MB: Honnêtement non. J'ai été agacée toute la semaine par les gens qui spéculaient et qui m'encourageaient et qui essayaient de célébrer à l'avance. Je me refusais à ça. Je suis arrivée dans le Festival avec peu d'attente et j'avais déjà été tellement récompensée à la première: le public et la critique étaient tellement unanimes que pour moi c'était ça ma récompense. A partir de là j'en n'avais plus d'attente, j'étais comblée.

Tu appréhendes la sortie du film, vendredi prochain ?

MB: Ce que j'espère c'est que tout ça invite les gens à aller voir le film, que ça donne un coup de pouce sur la publicité. On en a besoin, le cinéma québécois en a besoin, on a besoin des gens qui viennent voir nos films. Que ça aide tous les films québécois. Pas juste le mien, mais que ça donne une image positive du cinéma québécois. Et puis que ça ait un effet d'entraînement, et que les gens aillent aussi voir le film de Denis [Villeneuve, Un 32 août sur la terre], le film de Robert Lepage...Tout ça j'espère que ça va aider notre cinéma.


   Vincy