Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Firmine Richard n’occupe pas l’espace, elle le remplit de sa présence, le dévore comme le sourire qui illumine son visage. C'est une star qui s'ignore. La plus populaire des actrices françaises black joue la comédie depuis vingt ans. Théâtre, télévision et cinéma ponctuent un parcours escarpé et courageux au sein d’une industrie de divertissement dirigée, donc pensée par des blancs.
Dans La première étoile de Lucien Jean-Baptiste, l’actrice tient le premier rôle. Affublée d’une perruque à bouclettes et d’un anorak grossissant, elle campe une Bonne Maman qui pour le moins décoiffe. Nous nous sommes rencontrés un jour de grand soleil dans une brasserie populaire du XXe arrondissement de Paris. Elle est arrivée avec des sacs dans les mains. En un rien de temps, elle a occupé toute une banquette de l’établissement à elle seule. Les sacs semblaient se multiplier. Son téléphone rose ne cessait de sonner.
Malgré cela, « La Richard » reprenait sans aucun mal le fil de la conversation. Avec l’autorité instinctive d’une patronne, mais aussi la sensibilité à fleur de peau d’une interprète…

photos : fabien lemaire

Ecran Noir : Est-ce que Firmine Richard, petite fille, rêvait d’être une actrice ?...




Firmine Richard : Mais non, comment voulez-vous ?... Jamais ! Aux Antilles, à la maison, nous n’avions pas accès aux journaux. Encore moins aux magazines de cinéma. Je me souviens de quelques publications pour enfants : Lisette et Spirou. Il y a cinquantaine d’années, il fallait avoir les moyens pour donner à lire des revues aux enfants. Non, jamais je n’ai rêvé de faire du cinéma. C’était un monde à des années lumières de ma réalité.

Vous arrivez en France à l’âge de dix-huit ans…
FR : En 1966. Encore aux Antilles, je suis rentrée aux PTT car j’avais eu l’opportunité d’y travailler pendant les vacances. Ma mère, femme de ménage chez le receveur des douanes, a déménagé en France pour une vie meilleure car le chômage sévissait dans les îles. De Gaulle avait alors mis en place le Bumidom : le bureau d’immigration des DOM TOM. Nous avons suivi la vague d’émigration des Antillais vers la métropole.

Elle est comment la jeune fille qui arrive en France ?
FR : Elle a très envie de vivre sa vie ! Mon certificat de travail en poche, je rentre sans difficulté aux PTT. Je me rappelle parfaitement que je suis arrivée en France au mois de mai. Le 6 juin 1966, j’ai commencé à travailler aux PTT.

Votre adaptation est facile ?
FR : Très facile ! Tout d’abord, je suis arrivée par beau temps. J’étais fascinée par tout ce qui m’entourait. J’ai vécu avec ma mère dans un premier temps. Puis, j’ai connu ma période chambre de bonne. À Bécon les Bruyères, puis dans le VIe arrondissement de Paris. Trouver du boulot et parvenir à se loger étaient choses assez faciles dans les années 1960…

La vie culturelle vous intéresse particulièrement ?
FR : Pas plus que cela. La danse occupait le plus clair de mes week-ends. J’allais en boîte tous les vendredis, samedis et dimanches. J’avais vingt ans et je vivais à fond ma jeunesse en France !

Vous évoluez dans la communauté antillaise ?
FR : Je ne me suis jamais mise en retrait de ma communauté. Sans chercher obligatoirement à n’être entourée que d’Antillais, je ne les ai jamais fuis. Je ne supporte pas ceux qui se veulent au-dessus de leurs origines. Chacun construit son intégration comme il l’entend, mais il ne faut pas fuir sa communauté car elle t’appartient et tu lui appartiens. Lorsque tu rencontres un gros problème, tu es bien content de l’avoir derrière toi pour te soutenir. Non, la fuir n’a jamais été ma volonté, ni mon propos !

Dans La première étoile, Jean-Gabriel, le personnage joué par Lucien Jean-Baptiste plane littéralement alors qu’il a une famille à nourrir. Est-ce que son irresponsabilité traduit un malaise culturel ou générationnel antillais ?
FR : Il faut savoir qu’au moment de l’esclavage, l’homme n’était pas responsable de ses enfants. Sa progéniture appartenait à son maître. Donc, il ne s’est jamais senti concerné par la cellule familiale…

C’est une des conséquences gigognes de l’asservissement des noirs…
FR : Voilà. Les enfants étaient condamnés à devenir de la main d’œuvre. En quelque sorte, des objets et des meubles qui appartenaient au maître. C’est ainsi que les hommes se sont transformés en étalons géniteurs, mais sans implication affective. D’ailleurs, bon nombre d’hommes possédaient plusieurs femmes. Cette polygamie arrangeait bien le maître puisque la relève était assurée pour le travail.

Les hommes multipliaient ainsi les chances d’enfanter des bras costauds…
FR : Oui, tout à fait. Cette absence masculine au sein de la famille que l’on peut considérer comme une espèce de tare s’est perpétuée pendant des générations. Résultat, la mère antillaise a élevé ses enfants, mais n’a jamais rien attendu de l’homme qui les a conçus.

Mais comment éduquait-elle les filles ..?
FR : À devenir de bonnes épouses et de bonnes mères alors que les garçons étaient livrés à eux-mêmes. D’où un dicton qui dit chez nous (elle le prononce d’abord en créole) : « Je lâche le coq dans la basse-cour. Ceux qui ont des poules n’ont qu’à bien les tenir.!»

Cet asservissement a créé une société très matriarcale car ce sont les femmes qui font aussi les hommes !
Petit à petit, les femmes antillaises ont pris conscience de cette problématique. Elles se sont senties responsables de l’irresponsabilité de leurs fils. Lorsque Bonne Maman part à la neige avec son fils, celui-ci est sur le point d’être quitté par son épouse. Elle lui dit : « Ta femme est trop bien pour toi. Tu vas perdre ta famille. Prends-toi en main. Quel exemple donnes-tu à tes enfants ...? ». Ce périple est pour elle l’occasion de suppléer à l’éducation qu’elle n’a pas su donner à son enfant. Volontairement ou non. Mon personnage œuvre alors à la réconciliation du couple…

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