Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Angelo Cianci s’est fait connaître avec des courts et moyens métrages récompensés dans divers festivals internationaux (Prix Kieslovski, jeune talent Européen Cannes, Trophée Kodak…). Pour la première fois, il passe au long métrage avec Dernier étage, gauche, gauche, une fable sociale satirique sur la prise d’otage d’un huissier de justice par un jeune homme impulsif et son père dépassé dans la cité Villon à Montigny. L’histoire s’inspire d’éléments autobiographiques, notamment la relation père-fils, et d’une observation agacée de la manière dont sont d’ordinaire traitées les banlieues, la jeunesse et l’intégration.
EN : Que pensez-vous du traitement que font le cinéma et les médias des banlieues et des jeunes de cité ?

AC : En terme de cinéma, il y a une fourchette un peu large entre les films de Rabah Ameur-Zaïmech d’un côté et ceux de Besson de l’autre. Pour moi, en tant que réalisateur, aucun de ces deux traitements ne me convenait parfaitement. L’un est trop unanimiste dans la manière dont il décrit les choses et l’autre est dans l’excès, la "BDisation", on leur enlève leur humanité. J’avais envie de décrire la banlieue telle que je la vois, à partir de ma petite expérience.
Par rapport aux médias, je suis très agacé de voir les gars qui stigmatisent les populations maghrébines, africaines, sans s’en rendre compte et en faisant le jeu du gouvernement actuel. Mais je suis aussi très agacé quand on crie à la caricature comme je le disais tout à l’heure. Ca trahit un vrai problème de la société française par rapport à son immigration africaine au sens large. Le fait qu’on soit toujours en train de danser entre ces deux extrêmes, qu’on ne sache pas où se positionner, qu’il y ait toujours un malaise dans le traitement.

EN : L’idée était justement de changer ce regard à travers le film ?

AC : Je ne crois pas beaucoup à la capacité du cinéma de changer les esprits. Ca peut arriver miraculeusement quand un film gêne suffisamment pour qu’on rouvre les vieux dossiers, comme sur Indigènes, mais c’est rare. Très modestement, je ne pense pas qu’on en soit là. La fin du film est relativement utopique. On parle de solidarité mais je crains que dans la réalité, ça deviendrait tout à coup beaucoup plus violent. Mais on peut imaginer qu’il y ait quelque chose de plus joyeux, de plus festif, pour protester. Une violence non préjudiciable aux individus mais juste à quelques biens, ça ne me dérangerait pas.

EN : La parole est primordiale dans le film. Les dialogues étaient déjà très écrits dès le départ ?

AC : On a travaillé quelques semaines avant le début du tournage, on s’est réuni dans un gymnase où j’avais dessiné au sol le plan de l’appartement et on a commencé à imaginer les déplacements. On a aussi un peu réécrit les dialogues en fonction des chorégraphies. Comme le tournage se faisait dans le désordre, le soir on travaillait tous les tris, on reprenait les dialogues. On était dans une espèce d’équilibre : les dialogues étaient très écrits mais je n’avais pas envie qu’ils les répètent trop, que ça devienne mécanique. Et puis les acteurs m’ont fait quelques jolis cadeaux, des propositions. Il y a une séquence en particulier entre Aymen et Hippolyte, une séquence très difficile à tourner pour moi, parce qu’elle marchait sur le papier et quand les deux acteurs l’ont jouée, je n’y croyais pas. J’étais un peu désespéré parce que je ne voyais pas comment résoudre le problème. Les deux acteurs se sont emparés de la scène, ils m’ont dit « on va te faire une proposition », ils ont travaillé la scène, ils ont restructuré le truc, ils commençaient à tellement bien connaître les personnages ! Ensuite ils m’ont mis la scène en boîte en une prise, j’étais scotché. J’ai trouvé qu’ils avaient tout compris alors que moi je n’avais plus le recul. De temps en temps ils ont eu cette liberté-là et je suis très content qu’il l’ait prise.

EN : De quelle scène s’agit-il ?

AC : La scène de nuit où l’huissier inspecte la chambre de Salem pour voir ce qui peut être saisi. La manière dont le scénario était écrit c’était trop didactique, on perdait l’humanité des personnages. C’était trop mécanique, on sentait où allait la scène. Ils ont déstructuré les choses, ils ont tout bouleversé, ils ont pas mal improvisé d’ailleurs, et la séquence a été tournée en un plan-séquence. Il y a quelque chose de très chorégraphique dans cette scène. Je ne pouvais pas rêver mieux que ça…
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