Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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LECONTE OU LA BIENVEILLANCE EMOTIONNELLE

En ce jour de printemps, l’été devance l’appel. Dans le quartier Montparnasse, Patrice Leconte m’attend dans son bureau perché sous les toits. Une rencontre au sommet où il est question de Riva Bella, son dernier roman, de J’arrête le cinéma, un entretien passionnant mené par Hubert Prolongeau, et de Voir la mer, le film de la renaissance.

Sur le balcon, nous avons admiré la Tour Eiffel et pensé en même temps au symbole des Films du Carosse, l’ancienne société de production de François Truffaut. Le cinéaste de Une belle fille comme moi condamnait ses échecs. Le réalisateur de La fille sur le pont revendique son amour du succès. Attitude suspecte dans un pays qui toise la réussite ?... À ces mots, Patrice Leconte s’anime. Une étincelle jaillit dans son regard. Son physique d’oiseau tombé du nid s’enhardit, déploie toute son ampleur. Celle de la passion pour le cinéma !

Patrice Leconte : Si un peintre qui ne vend pas de toile, un romancier sans lecteur ou un cinéaste qui ne fait pas d’entrées prétend qu’il s’en fout, c’est un menteur. Le plus beau long-métrage du monde, s’il n’attire que deux spectateurs, est infirme. Lorsqu’un de mes films sort et ne marche pas, ça ne me flatte absolument pas. Pire, s’il ne rencontre pas son public, je suis envahi par un sentiment de honte !

Le livre Bye Bye Bahia



EN : Voir la mer est une œuvre de désir après Les Bronzés 3, Mon meilleur ami et La guerre des miss. Dans J’arrête le cinéma, long entretien initié par l’écrivain et journaliste Hubert Prolongeau, vous confiez avoir tourné ces trois films pour de mauvaises raisons…

PL : Malgré leurs mauvaises raisons, je n’ai réalisé aucun d’eux par-dessus la jambe. Pour Les Bronzés 3, j’avoue que je n’aurais pas aimé que la bande du Splendid appelle un autre cinéaste. C’est un film de potes, de fidélité. En ce qui concerne Mon meilleur ami, je n’ai pas initié le scénario. Même si j’ai apprécié mes collaborations avec le scénariste Jérôme Tonnerre, Daniel Auteuil et Dany Boom, ce n’était pas un projet très personnel. Quant à La Guerre des Miss, je l’ai mis en scène pour le plaisir de travailler avec Benoît Poelvoorde. C’est un acteur que j’adore. Nous nous sommes formidablement entendus. Hélas, cette rencontre s’est soldée par un bide. Avec le recul du temps et un peu de pertinence, je me dis que passer deux mois merveilleux avec Benoît n’est pas une raison suffisante pour réaliser un film. Le cinéma est quand même une affaire un peu plus sérieuse !

EN : Au cœur de ces mauvaises raisons, avez-vous encore trouvé du plaisir ?

PL : Oui, un plaisir que personne ne peut me retirer. Celui de faire des films. Comme François Truffaut est un peu avec nous pendant cette conversation, j’ai envie de reprendre la réplique de Jean-Paul Belmondo et de Gérard Depardieu à Catherine Deneuve dans La Sirène du Mississipi et Le dernier métro : « C’est une joie et une souffrance. ». Faire des films, c’est une joie, mais aussi une souffrance. Réaliser ne s’avère pas une mince affaire quand un minimum d’exigence vous motive. Je pensais benoîtement qu’au fil du temps, de l’expérience, l’entreprise serait plus aisée. Il n’en est rien. Peut-être est-ce que je fixe la barre toujours plus haut, à un niveau trop élevé pour moi qui ne sait pas sauter ?… Le prix à payer de chaque tournage se compte en insomnies. C’est pour cela que, régulièrement, je pense à arrêter le cinéma. Pas à cause du cinéma qui me rend toujours heureux. Mais parce que chaque projet devient trop lourd pour mes frêles épaules.

EN : Pourtant, vous êtes à l’aube d’un nouveau projet...

PL : Oui, je m’attaque à l’adaptation de Le voyage vers le passé, un roman de Stefan Zweig. Je commence à écrire ces jours-ci avec Jerôme Tonnerre. C’est une aventure qui me tente, me passionne, m’excite. Je l’entreprends pour de bonnes raisons, mais je ne suis pas insouciant pour autant. Je la connais trop bien la ligne droite qui conduit jusqu’à la sortie dans les salles. Si vous saviez comme elle me semble longue cette ligne !

EN : Dans La Nuit américaine, François Truffaut prononce une magnifique métaphore pour illustrer la fabrication d’un long-métrage : « Les films sont des trains qui avancent dans la nuit. »…

PL : Elle est exemplaire !
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