Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Dans L'attente, sélectionné en compétition au dernier festival de Venise, le cinéaste Piero Messina met en scène une mère en deuil incapable d'avouer la mort de son fils à sa petite amie venue de France. Entre les deux femmes, magistralement incarnées par Juliette Binoche et Lou de Laâge, se tisse peu à peu une relation complice basée sur cette attente de l'homme aimé. Un film à la mise en scène élégante qui envoûte le spectateur par sa délicatesse.
Ecran Noir : Quelle image ou idée a présidé à la naissance du film tout au début ?





Piero Messina : Une image de mon enfance. C’était la nuit et nous fêtions Pâques au village. Je marchais dans la foule. A un moment j’ai entendu des cris et j’ai vu des adultes qui pleuraient. Qui pleuraient devant une statue. Devant un morceau de bois. Ces visages transfigurés par l’émotion ont été mon point de départ.

EN : Aviez-vous plutôt envie de parler du deuil et du secret ou plutôt de la rencontre entre deux solitudes ?

PM : Je voulais parler de partage. Si deux personnes dans un espace isolé, comme celui d’une villa, décident de croire ensemble à quelque chose, ce quelque chose devient possible indépendamment de la réalité de départ. C’est quelque chose qui arrive aussi durant cette procession. Des milliers de personnes ont décidé de croire au même moment que cette statue n’est plus un morceau de bois mais un être vivant, ressuscité. À cet instant, cette vérité partagée devient réelle. En résumé, je voulais parler d’amour.

EN : Quelle place joue l'attente de Pâques, et la procession qui l'accompagne, dans le récit ?

PM : Je suis parti de là, mais j’ai compris la beauté de cette représentation au moment où je l’ai regardée de façon laïque, sans toute la charge de significations et de symboles que la religion lui attribue. Je me suis demandé seulement : que raconte cette histoire ? C’est l’histoire d’une mère qui a perdu son fils et bien que tous lui disent que son fils est mort, une nuit elle décide de sortir de la maison pour aller le chercher. Elle erre ainsi dans les rues du village alors que tout le monde lui rappelle que son fils n’est plus là. Mais elle continue de marcher, elle continue sa recherche, jusqu’à l’aube, elle retrouve son fils, vivant, face à elle. À cet instant, comme si le regard de la mère s’étendait aussi aux autres, tous s’aperçoivent de sa présence. Je trouve qu’au-delà de tout, son histoire est bouleversante.

EN : Entre les deux femmes naît une complicité ambiguë qui repose sur le fait qu'elles attendent ensemble. On a l'impression que c'est cette attente qui les réunit, comme si toutes deux voulaient ignorer la vérité et se confortaient l'une l'autre.

PM : Oui, c’est dans l’attente que les deux femmes se découvrent. Depuis le début cela me fascinait de raconter une histoire dont le moteur de la narration était l’élément manquant. Deux femmes qui s’unissent autour d’un homme qui n’est pas là. Elles l’aiment toutes les deux, l’une en tant que mère, l’autre en tant que petite amie. Et c’est cette absence qui m’a permis de parler plus profondément de leur amour. Au fond attendre veut dire désirer. Si je ne me trompe, Roland Barthes a écrit « l’amoureux est celui qui attend. » [NDLR : L’identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : je suis celui qui attend.]

EN : Comment avez-vous choisi les deux actrices et comment avez-vous procédé pour qu'elles fonctionnent aussi bien ensemble ?

PM : Il n’y a pas eu de choix pour Juliette, j’ai écrit le film en l’imaginant et j’ai seulement espéré qu’elle accepte le rôle. En ce qui concerne Lou au contraire nous avons fait presque 6 mois d’auditions. Elle fut la dernière actrice que j’ai rencontrée. Quand je l’ai vue j’ai compris tout de suite que j’avais perdu tout ce temps car j’avais mal cherché. Pendant l’audition, en fait, je me suis rendu compte que Lou rendrait le personnage beaucoup plus intéressant de ce que j’avais imaginé. Et dans ce cas, je ne me suis pas trompé.
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