Ecran Noir, le cine-zine de vos nuits blanches, présente le festival de Sundance

L'EsPRIT EN PÉRIL

Des prix à profusions. Des indépendants qui payent en dollar d'Hollywood. Des stars en surnombre. Des médias qui espèrent avoir le temps de skier. Ça dérape du côté des pistes de Park City.

On attend 12 000 personnes pour ce nouveau Sundance 99. Dont 650 journalistes! Une augmentation constante qui oblige les organisateurs à faire un tri de plus en plus difficile. Park City n'est après tout qu'une station de ski. Aussi Sundance, depuis quelques années, grossit.
Le Festival se répand sur la métropole d'accueil voisine, Salt Lake City où de plus en plus d'événements et de projections ont lieu. Les projections s'étendent jusqu'à Ogden à 100 kms de Sundance!
L'an dernier on a répertorié 16 prix différents, soit un total de 19 vainqueurs. En 89, on ne comptait que 6 prix...
3000 films ont été soumis aux sélectionneurs cette année, dont 800 rien que pour la catégorie des longs métrages en compétition (16 retenus). Côté courts-métrages on a accepté 58 films (pour 1700 soumissions). Sundance croule sous son succès. Au point d'avancer à la fin octobre la date de clôture des inscriptions (pour les médias début décembre).

Et c'est sans parler des stars. Le showbiz débarque années après années dans le seul Festival hot d'Amérique du nord durant la période hivernale. Les vedettes des films d'abord. Conséquence logique de la réussite des indépendants, de plus en plus de stars jouent dans ces films, et se retrouvent dans le Temple des oeuvres à moindre coût. Fracture sociale béante puisque le salaire habituel de Kate Winslet, Val Kilmer, Glenn Close ou Alec Baldwin est souvent supérieur au budget moyen des films présentés.
Autre retour de boomerang, l'abonnement annuel des patrons de Sony Classics, Miramax, October, Lions Gate et autres New Line. Les studios sont omniprésents, jusqu'à faire monter les enchères de manière dramatique pour acquérir un film.
Certains achats ont ainsi explosé la barre des 1 puis 2 puis 3 millions de $. Un film indie acheté 3 millions de $ c'est d'autant plus absurde qu'un film indépendant dépasse rarement les 5 millions de $ au Box Office. Reste la revente des droits internationaux ou l'utilisation des droits dérivés (adaptation, vidéo, TV). Cette surenchère a conduit Miramax à arrêter d'acquérir des films hors de prix et stopper ainsi cette spirale infernale.

On est loin de l'ambiance initiée par Redford, qui souhaitait créer un espace de revitalisation pour un cinéma différent. Ici le marché redevient roi, comem ailleurs, Hollywood débarque avec ses grosses chaussures, les dollars pleuvent, les stars font leurs pubs, les entreprises commanditent des prix, et les médias guettent le film qui fera parler de lui cette année, le talent qu'on dit prometteur. De plus ça donne un gage de qualité à tous, vu la conotation Art et Essai de l'événement.
On se demande qui y gagne le plus...

En fait Sundance devient une copie de Cannes. Avec son marché du film, son festival parralèle (Slamdance), ses starlettes (reconnaissable aux lèvres refaîtes au collagène et aux manteaux DKNY), sa couverture médiatique de plus en plus imposante, et donc ses prix...

Or, tout le monde n'est pas d'accord avec cette évolution. On est même aux antipodes de la vocation du Sundance Institute (lui même surchargé de travail, victime de son succès).
Pourtant la tendance semble inéluctable; on retrouve au Conseil du festival les directeurs des studios October, Paramount Classics, Sony Classics, Lions Gate... La prospérité de l'événement leur convient parfaitement, notamment en vue de lancer leurs films. Les indéepndants ont plus que jamais besoin d'être visibles, médiatiquement parlant.
Or un Prix c'est un atout marketing, une avant-première à Sundance aussi, sentir la réaction du public à film, idem, etc... L'utilité du Festival n'est plus à prouver, et ne peut être remise en cause.
Une section comme l'American Spectrum, créé comme le sanctuaire des films hors-compétitions, devient une section compétitive avec ses prix, et entre directement en concurrrence avec la section principale. Ce qui est un double échec:
1) cette section devait purifier un Sundance de plus en plus marketing.
2) elle devait aussi diminuer l'influence de Slamdance.
Or, Slamdance ne s'est jamais aussi bien porté.

D'autant que Redford a exprimé souvent ses doutes face à cette évolution mercantile. Lui, et quelques autres membres du Conseil, opterait pour la disparition de 90% voir 100 % des prix. Après tout le Festival de New York ne remet pas de prix... De plus, Sundance étant à son sommet, médiatiquement et culturellement, la perte de ces outils marketing ne nuierait pas à l'impact du Festival. Les prix ont été multipliés en 88, parce que le crû de cette année là avait fait plonger Sundance dans les abysses de l'indifférence. Ce n'est plus le cas. les chiffres l'attestent.
L'esprit de Sundance commence à disparaître avec les querelles internes entre les intégristes de la première heure et les progressistes ambitieux. Les entreprises comme Piper Heidsieck, Mercedes Benz, Absolut Vodka accompagnent les prix et financent des sections. Devant l'amélioration de la qualité des films, les jurés sont de plus en plus divisés, et multiplient les ex-aequo. Sans compter les remises de prix de plus en plus "oscariennes".

Incontournable pour la presse, ce rendez-vous hivernal est en passe de battre Berlin (un festival de catégorie A classique) et devient le complément de Cannes et Toronto. Autrement dit Sundance s'est mondialisé, banalisé. Sa spécificité, les films indies, le démarqueraient si Hollywood n'avait pas racheter les producteurs indies ou si les stars n'étaient pas dans le circuit.
L'esprit d'origine, une atomosphère collégiale, communautaire, où le but était de faire et montrer des films différents, s'est fortement altéré. Alors que deviendra Sundance en l'an 2000? Un Festival pas comme les autres, renouant avec ses sources, ou un événement international de plus en plus sélectif?
Quoiqu'il arrive, le lieu même obligera toujours les invités à prendre des snows boots dans leurs valises et l'organisation baignera encore et toujours dans la pagaille. La différence s'arrêtera-t-elle là....?

VCT / 21.02.99

retour en haut

(C) Ecran Noir 1996-1999