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 (C)Ecran Noir
 1996-2000

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 Vincent Cassel - Jean-Christophe Grangé - 

Ecran Noir: Comment êtes-vous tombé sur le livre de Jean-Christophe Grangé, Les Rivières pourpres?
Mathieu Kassovitz: Ce sont d'abord des amis qui me l'on conseillé. Je l'avais donc chez moi, lorsque j'étais à Los Angeles, et pendant longtemps, je n'ai pas eu le temps de le lire. Lorsque j'ai commencé à réaliser que j'étais capable d'adapter ce roman -Alain Goldman m'avait alors appelé pour me demander de le lire-, j'étais très enthousiaste. C'était déjà super efficace: on y trouvait des décors incroyables, de l'action et un putain de mystère. Il y avait une espèce d'énergie qui disait que pour adapter quelque chose comme ça au cinéma, il fallait faire en sorte que ça cartonne. D'autant plus que moi, en tant que spectateur, j'ai envie qu'on m'en mette plein la gueule quand je vais voir un film comme ça.
Mon envie de faire Les Rivières pourpres est avant tout un vrai plaisir de spectateur. Je dirais même plus: c'est le plaisir d'un possesseur d'une installation "home theater" parce que je suis trop heureux quand je vois des films comme celui-là en DVD. Mais plus simplement, c'est le film idéal pour une sortie ciné le samedi soir avec une copine qui se blottit dans tes bras lorsqu'elle a peur.

EN : On sait que vous êtes un fou du cinéma américain...
MK : C'est vrai. J'adore Friedkin (William de son prénom, qui vient de sortir L'Enfer du devoir, ndr). L'Exorciste (toujours de Friedkin, ndr) est l'un de mes films préférés, mais je suis aussi un fan des polars. Seven, c'est magnifique! Le visuel dans ce genre de film est très important. Tu as des cadavres, des éclairages, des scènes d'action... c'est le pied pour un metteur en scène. C'est comme de dire à un peintre qu'il peut prendre une toile plus grande, des tas de sorte de pinceaux, des couleurs différentes, ... Mais j'aime un cinéma qui va de A à Z. Je n'ai donc je n'ai pas vraiment de préférences. J'ai cinquante meilleurs films et vingt cinq metteur en scène préférés. Friedkin, Fincher... Mais Spielberg reste le patron de tout le monde!

EN : Vous ne citez que des américains...
MK : Non-non, il y a des français. Il y a ... (Kassovitz cherche) (Rires). Non, mais il y en a. Pas forcément sur le même registre, mais il y a plein de choses. Et le meilleur, c'est Gaspar Noé (Seul contre tous, ndr). Lui, pour moi, c'est un metteur en scène absolument magique. Du côté français, mon inspiration vient du cinéma des années 40-50 et ensuite des années 75 avec des films d'Yves Robert. Pour les américains, c'est plus simple: à partir des années 30 jusqu'à aujourd'hui.

EN : Les Rivières pourpres va-t-il sortir aux Etats-Unis?
MK : Oui. Et ce sont les acteurs qui vont eux-mêmes se doubler en anglais, avec leur propre accent. On peut se le permettre parce que les Alpes font parties du terroir français et qu'elles sont reconnues dans le monde entier comme identité française. Mais on ne peut pas battre les américains sur leur propre terrain: ils n'ont pas la même sensibilité que nous, ils utilisent trois fois plus de blé pour faire ce genre de films, les effets spéciaux sont dix fois plus nombreux, ... Maintenant, ce qui m'intéresse avec ce film, c'est que je vais l'envoyer aux gens avec qui je travaille aux Etats-Unis en leur disant: "Voilà où j'en suis. Maintenant, si vous avez des ouvertures, si vous avez des idées, des scénarios, voilà ce que je fais." C'est mon book en fait. Ca ne va pas être LE succès de l'année, faut pas rêver. Mais ce serait trop beau! Imaginez les annonces: "200 millions de dollars le premier jour, un film français casse la baraque aux Etats-Unis!" (Rires)

EN : Travailler avec l'auteur du roman, n'était-ce pas une difficulté supplémentaire que vous vous placiez entre les mains?
MK : Si, un peu. Mais comme le livre de Jean-Christophe possédait des thèmes qui nous sont propres à tous les deux, je me suis dit: "Aller, tentons le coup". Et puis, Jean-Christophe avait déjà fait un travail formidable pour ramener son bouquin de quatre cent pages à cent vingt pour le scénario et ce qu'il avait sucré ne me semblait pas toujours très judicieux. Alors on l'a repris ensemble. C'est vrai qu'il était le premier à me dire: "On s'en fout du bouquin, tu n'as qu'à taper dedans, on est là pour faire ton film". Et ça a finalement été un plaisir incroyable de travailler avec lui.

EN :Je me rappelle avoir lu que le tournage d'un film n'était pas la partie que vous préfériez. Est-ce que ça reste le cas malgré l'ampleur de ce film là?
MK : Oui. Je n'aime pas cette étape parce qu'il faut prendre des décisions à un moment où on n'est pas encore sûr de ce qu'on veut faire et qu'à partir du moment où ces décisions sont prises, tout s'enchaîne. Je recule alors toujours au maximum le planning pour donner ma décision le plus tard possible. Et puis généralement, quand je la donne, c'est trop tard et après on est à la bourre et c'est le merdier.

EN : Est-ce que ça veut dire que vous vous couvrez beaucoup par rapport aux prises de vues, que vous tournez les scènes les plus difficiles sous des angles différents ?
MK : Je me suis plus couvert sur celui-là que sur les autres tout simplement parce que sur les précédents, je n'avais pas les moyens de le faire. Et puis ça prend du temps de faire un plan. Donc si tu n'en as pas les moyens, tu prends des risques en allant au plus vite et en priant que ça marche. Par contre, avec Les Rivières pourpres, si je me plante, c'est plus grave. Si je plante la scène du glacier parce que j'ai fais le malin en disant: "Non-non-non, c'est bon, pas besoin de faire une autre prise, je vous assure, c'est bon!", je n'ai pas l'air malin. On est obligé d'assurer le truc. Et puis c'est vrai que ça permet aussi d'amener des choses que je n'avais pas tenté sur mes autres films. Comme des plans un peu plus découpés, des champs-contrechamps, se servir des focales pour embellir les plans...

EN : Etiez-vous conscient, au moment de la sortie d'Assassin(s), que ce film allait en quelque sorte vous fermer les portes?
MK : C'est vrai qu'il l'a fait. Mais non, je n'en étais pas conscient. Tout comme je n'ai pas délibérément fais Les Rivières pourpres pour avoir du succès. Je l'ai fait parce que j'étais dans un état d'esprit bien précis à un moment donné. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec Assassin(s). Si tu commences à faire des plans de carrière, t'es foutu. Enfin... pas tout à fait, mais tu ne vis pas. Quand tu entreprends quelque chose, il faut que tu sois en forme le jour où tu le fais, sinon ça se passe mal. Il y a des projets, que je n'arrivais pas à écrire il y a à peine deux ans, que je vais probablement reprendre maintenant et qui vont peut-être se débloquer parce que mon état d'esprit n'est plus le même.

EN : Et aujourd'hui, comment vous positionnez-vous avec la critique?
MK : Mon avis sur la critique n'a jamais changé depuis mes douze ans, à l'époque ou je lisais les fiches de Monsieur Cinéma. Ce que je veux dire par là, c'est que je n'arrive pas à concevoir le métier de critique comme un vrai métier. Tu es payé pour critiquer le travail des autres? C'est ça? Déjà je crois que le critique devrait aller voir le film en salle, dans la première semaine de la sortie, en payant son billet, avec un public, et non pas comme aujourd'hui avec cinq cent autres journalistes où tu sais que si tu ris un peu trop fort ton voisin va te juger... C'est un peu comme une secte qui se réunit tous les lundis dans des salles ou personne ne paie, ou tous le monde se connaît,... Et en plus, c'est quoi cette histoire? Moi, il y a plein de films que je n'ai jamais vu pour avoir lu des critiques qui les descendaient... même pas à cause des critiques en fait, mais à cause de l'unique étoile accolée en bas de page. Alors que ces films sont peut-être géniaux! Seulement les critiques n'ont peut-être pas les mêmes goûts que moi.

EN : Donc vous reconnaissez en tenir parfois compte...
MK : J'en tiens compte pour ce que ça représente: un principe débile. Critiquer deux ans de travail d'une équipe de tournage en mettant une ou deux étoiles parce que tu t'es réveillé le matin de mauvaise humeur ou parce que tu as la chiasse et que tu n'as pas apprécié le film comme tu l'aurais dû, c'est con. C'est comme les flics. Tu ne peux pas être un bon flic pendant longtemps, parce qu'au bout d'un moment tu entres dans un système.

Propos recueillis par John Nada