On a souvent reproché à cette alchimie d'être belle mais froide, esthétique mais sans âme. C'est peut-être parce que dans la plupart de ses scénarios, l'intrigue et les personnages étaient un peu les laisser-pour-compte de l'histoire, simple prétexte à construire avant tout un style visuel.
Mais c'est oublier un peu vite les obsessions qui hantent ses films : les expériences génétiques (les clones de Dominique Pinon et de Ripley, les sțurs siamoises), La folie des hommes (Le boucher de Delicatessen, l'accouchement d'un être mi-humain mi-alien), l'enfance perdue ou retrouvée (le kidnapping d'enfants dans la Cité) prouvent que le cinéma de Jean-Pierre est aussi un cinéma "d'auteur".

Après sa période "noire" (les 2 premiers films co-réalisés avec Marc Caro), Jean-Pierre Jeunet a enchaîné avec un film de commande (AlienIV) et semble entamer avec Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain... sa période "rose". Un cinéma plus fou, plus drôle et plus optimiste.
Dans ce dernier film, une comédie, il reprend le meilleur de tous ses précédents opus : les intentions de son court métrage Foutaises, les personnages de Delicatessen, la folie et les décors de La Cité des Enfants Perdus et le suspense d'Alien IV. Car rappelons-le, la comédie, c'est aussi du suspense.
Toutes ses idées se retrouvent dans un scénario dont l'originalité est de mettre en adéquation le dispositif de mise en scène et l' histoire grâce à la raison d'être du personnage principal : créer par tous les moyens le bonheur autour de soi. Ce principe permet de justifier les trouvailles les plus folles de mise en scène dans une suite de petites tranches de vie. La fiction influe sur le quotidien des personnages qui s'en trouve bouleversé. Et inversement!
A la différence de ces autres films, Jean-Pierre Jeunet s'est attaché à la vie de ses personnages qui semblent plus incarnés, plus humains et donc plus proches de nous. Ils détiennent enfin une raison d'être, un destin. On est loin des personnages encore "pâte à modeler" de Delicatessen ou de La Cité perdus dans leur décor.
Une autre raison est que, pour la première fois, une grosse partie du film a été tournée en extérieurs. Et bien que Jean-Pierre Jeunet dise à qui veut l'entendre que cela lui a été très pénible, cette intrusion du réel dans son univers l'humanise et apporte un souffle, une légèreté qui manquaient dans ses précédents oeuvres.
La lumière du film (signée Bruno Delbonnel) a bénéficié du nouveau système d'étalonnage numérique Duboicolor qui permet de modifier ou corriger indépendamment de façon très précise les teintes et saturations des couleurs ainsi que la luminance des différents éléments qui composent l'image (voir aussi Le Pacte des Loups). Les possibilités qu'offre ce procédé d'étalonnage ont permis à Jean-Pierre Jeunet de travailler son image comme un peintre, et rendre ainsi encore plus magique et irréel le monde d'Amélie.
Au final un film fait d'instantanés magiques qui diffusent un parfum de bonheur.
Un peu comme si Tardi, Prévert et Carné s'étaient donnés rendez-vous à la terrasse d'un café à Montmartre, un jour de soleil... Une belle fable philosophique. Une allégorie de la vie et du cinéma.

"Les temps sont durs pour les rêveurs" dit un personnage du film. On a envie de lui répondre par cette phrase du même Jacques : "Il faudrait être heureux, ne serait ce que pour donner l'exemple."
Et Amélie nous le donne.

C.L.C.

(C) Ecran Noir 1996-2001