Production:Studio Ghibli / Toshio Suzuki
Réalisation: Hayaho Miyazaki (Princesse Mononoke)
Scénario: Hayaho Miyazaki
Direction artistique: Youji Takeshige
Direction animation: Masashi Andô
Musique: Jô Hisaishi (+ chanson de Youmi Kimura)
Durée: 2h 02

Casting Voix:

Chihiro: Rumi Hiiraji
Haku: Miyu Irino
Yubaba: Mari Natsuki
Kamaji: Bunta Sugawara

 

 
Site officiel
Hayao Miyazaki sur EN
Dossier Mangas EN
Chihiro dans Cinéma 2001
  (c) Ecran Noir 96-02
Le voyage de Chihiro 
Ours d'or Berlin 2002 
Japon / 2001 / Sortie France le 10 avril 2002
 
Au seuil de l'adolescence, Chihiro est une enfant gatée et revêche. Séparée de ses parents par un mauvais sort, la jeune fille se retrouve livrée à elle même dans un monde onirique où se cotoient divinités, sorcières et autres créatures plus ou moins invraissemblables. Pour survivre mais aussi pour conserver son identité, Chihiro devra aprendre à faire face à ses responsabilités et trouver le chemin de la maturité...
 
   Véritable marathonien du celluloïd, chef d'orchestre intransigeant, Hayao Miyazaki avait laissé entendre qu'il donnerait un terme à sa carrière après Princesse Mononoke, il était sorti en effet épuisé par la gestation du dessin animé. La passion fut plus forte que la raison.
Le studio Ghibli évolue avec son temps. Terminée l'époque artisanale des cellulos superposés, l'ensemble des dessins ont aujourd'hui droit à un traitement numérique, offrant un pannel de possibilités accru au niveau des effets et des mises au point de l'image. La société de Suzuki a du aussi se résoudre à sous-traiter une partie de l'exécution du travail avec un studio externe (le studio coréen D.R Digital). Ces changements d'organisation ont tous été scrupuleusement controlés par l'équipe de Miyazaki, afin de préserver le niveau de qualité qui a fait leur réputation.
Il faudra voir dans la maison de bain représentée dans le film, la vie quotidienne du studio d'animation avec ses personnages hautement affairés. Hoayo Miyazaki apparaît inévitablement sous les traits du surbooké Kamaji aux multiples bras et la sorcière Yubaba tenancière de l'établissement, le producteur Suzuki!
Le nom Chihiro signifie mille brasses, tandis que Haku se traduit par la couleur blanc.
219 M de $, c'est le chiffre historique atteint par le nouveau film de Miyazaki toujours en exploitation sur le sol japonais, dépassant son prédécesseur Princesse Mononoke et coulant l'insubmersible Titanic. Si Le voyage de Chihiro est solidement soutenu de la production à la distribution par Buena Vista pour l'essentiel du marché mondial, aucun engouement communicatif n'est cependant acquis à l'export. D'une part le succès de Princesse Mononoke était déjà resté confidentiel, au delà du cercle des aficionados de cartoons nippons, probablement pas assez Pokemonz dans l'esprit... D'autre part sur le marché américain, les censeurs ont tendance à priver les oeuvres du maître de son jeune public car leur faisant subir une restriction à la tranche des 13 ans, jugeant certaines séquences trop violentes, voire simplement trop perturbantes. Ceci expliquant peut-être l'opportunisme conformiste des productions Disney? En se référant à ce dernier, Miyazaki peut prétendre en ses contrées d'origine faire figure de roi incontestable de l'animation loin devant la souris. Chaque nouvelle production des studios Ghibli portant le sceau de l'auteur rassemble un public toujours plus nombreux au point où Miyazaki apparait aujourd'hui comme une figure incontournable de la culture populaire japonaise transgérationnelle.
 
 
JE SUIS D'AILLEURS

"On n'oublie jamais ce qui s'est passé, mais on n'en conserve pas de souvenirs"

Le rapprochement entre Hayao Miyazaki et Akira Kurosawa serait tentant à établir, bien que les deux hommes se soient toujours défendus de travailler dans des directions proches, au delà de l'immense respect qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre. Pourtant il y a dans le Voyage de Chihiro un certain sentiment de sérénité et de générosité qui se dégage du film. Une même invitation à la contemplation et à la méditation présentes dans les dernières œuvres de Kurosawa (Dreams). Tous deux semblent avoir atteint dans leur âge de raison, une plénitude créatrice, qui se traduit à l'écran par une maîtrise formelle hallucinante. Il apparaît enfin chez les deux hommes un besoin généreux de transmission de sagesse aux générations futures. Rangeant la foudre des grands combats dans leur fourreau (Kagemusha ou Princesse Mononoke), les deux vénérables anciens prennent le temps de se retourner sur leur passé et s'appliquent à méditer sur leurs acquis face au présent. Certains ont souvent critiqué Miyazaki pour son penchant pessimiste lié à l'évolution de nos sociétés modernes. Réactionnaire le père de Totoro, vaguement conservateur, ou tout simplement peu porté sur un futurisme exacerbé? L'homme est méfiant, son humilité orientale ne dissimule pas toujours une forte réprobation envers ses contemporains, leur inconscience, leur comportement présomptueux. Avec Chihiro, Miyazaki revient à beaucoup plus de douceur au travers de son talent de conteur enfantin. S'il conçoit la création d'un cartoon comme une vaste bataille, il consent à faire des concessions avec ses soldats, sachant se remettre en question et même se moquer de lui même. Il n'en perd pas pour autant ses convictions. Préoccupé par la perte de repères, de racines, qu'impose une mondialisation standardisante, il choisit de mettre en image avec sa dernière réalisation ses préoccupations sous forme d'interrogations métaphoriques. Quel avenir pour un Japon envahi par le consumérisme, le plaisir immédiat et futile? Un Japon qui oublie son folklore, ne croisant ses croyances ancestrales que machinalement en fin d'année à l'image de l'occident finalement. Miyazaki voue une foi inébranlable dans le culte de l'imaginaire, de ces icônes qui emmènent l'esprit loin des considérations tristement matérielles.

A ce titre Le voyage de Chihiro est une véritable croisière vers l'ailleurs, une prodigieuse machine à rêver qui devrait remplir la mission qui est la sienne, divertir les générations présentes et futures sans appauvrir le sens de la perception de leur univers. Bouillonnante, la créativité du réalisateur pourrait être figurée par un torrent qui jamais ne s'assêche. Enchaînant les séquences bluffantes avec une absence d'économie confondante, Miyazaki nous montre autant qu'il nous suggère des territoires qu'aucun d'entre nous, dévoreurs de pellicule blasés, ne croyions encore devoir exister. Têtes bondissantes, bébé gargantuesques, nounours pensifs… autant de personnages, de scènes qui stimulent nos fantasmes. Le spectateur se retrouve, au même titre que l'héroïne, égaré dans un monde parallèle qui vibre de façon singulière sans pour autant se démarquer radicalement du nôtre. C'est évidemment parce que ce pays de démons et merveilles n'est autre que le prolongement de notre réalité, ce monde rêvé et réinterprété par notre inconscient, tout au long du déroulement de notre existence. Il y a évidemment un fort sentiment de désincarnation dans cette histoire. Sentiment universel face à l'inconnu que chacun aura éprouvé en quittant le sein qui l'a nourri, géniteur ou patrie d'origine. L'identité, la mémoire, l'expérience, autant de facteurs qui nous façonnent jour après jour en un lent processus semi invisible et qui prennent sur l'écran une dimension émotionnelle poignante.

La richesse de la symbolique du Voyage de Chihiro peut désarçonner. L'œuvre est moins perméable que la majorité des productions animées occidentales et demande certainement des visionnages multiples pour en apprécier l'intégralité de la lecture pour peu que cela puisse s'inscrire dans un domaine du possible. Si Miyazaki se réfère à l'esprit chintoïste dans l'exaltation de la nature et des ses représentations notamment, s'il ancre volontairement son film dans le Japon, pays schizophrène et désorienté dans son histoire et son évolution, il trouvera forcément un écho dans le cœur du monde entier, tant le propos nous touche tous et ne peut se heurter à de banales frontières. Par le biais du talent hautement généreux du maître, c'est finalement tout simplement l'opulence féconde de la vie qui est offerte à notre sensibilité. Un cadeau rare.

- PETSSSsss-