(C)Ecran Noir
 1996-2001

 GFX: PETSSSsss
 TXT: Vincy
 IMG: Galatée Films

  

Avant l'envol...

En sortant à la mi-décembre, 13 ans après Le Peuple Singe, 5 ans après Le Peuple de l'herbe (Microcosmos), 2 ans après Himalaya, se mettant en concurrence le Disney de l'année, les productions docu-épiques de Jacques Perrin ont, à chaque fois, réalisé de très beaux scores, inattendus : 520 000 entrées pour les singes, 3.4 millions de spectateurs pour les insectes et 2.5 millions pour la caravane. Cette année, Le Peuple Migrateur, sujet fédérateur, devra affronter le mauvais Atlantide, l'efficace Harry Potter et le très attendu Seigneur des anneaux, dans une conjoncture où le cinéma français a le vent en poupe. En fait l'objectif de Perrin est de mettre le documentaire à l'honneur en le sortant comme un film scénarisé. Le marketing est à chaque fois le même : une pleine lune, et en ombre chinoise les stars du film (ici une formation en V, comme le logo d'Accor). Le Peuple Migrateur bénéficiera d'une sortie massive, bien plus large que ses trois prédécesseurs (400 salles, dont les écrans panoramiques parisiens). C'est un budget de 23 millions d'euros que les producteurs doivent rentabiliser. On peut espérer 2 à 3 millions d'entrées dans un tel contexte.
Pour cette épopée dans les nuages, Jacques Perrin voulait filmer ces oiseaux qui fascinent tant les hommes - de Léonardo da Vinci à Otto Lilienthal. "Et si nous nous rendions compte que nos frontières n'existent pas, que la terre n'est qu'un seul et même espace, et si nous apprenions à être libres comme l'oiseau?" s'interroge l'ancien marin des Demoiselles de Rochefort.

Une équipe technique et artistique de 450 humains et 1000 oiseaux.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, on retrouve quelques noms dans les génériques des oeuvres précitées. D'abord le compositeur, Bruno Coulais. Il a composé les musiques de Microcosmos, Serial Lover, Belle Maman, Himalaya, Les Rivières pourpres, Belphégor et Vidocq. Pour lui, il s'agissait d'épouser musicalement ce qui lui apparaissait comme une contemplation silencieuse. Il songe alors à une voix étrange, masculine, à des chants d'enfants. Il colle la voix de Robert Wyatt et de Nick Cave (et ses textes poétiques), les voix d'A Flietta et celles du Quartet Bulgarka, le Choeur basses de Sofia et le Bulgarian Symphony orchestra.
Deux réalisateurs se répartissent un travail de prises de vue qui s'étend de juillet 98 à l'été 2001. Jacques Cluzaud est un nouveau dans le staff. Michel Debats était assitant réalisateur d'Eric Valli sur Himalaya. 4 chef opérateurs, un photographe de plateaux dont le travail sera au final aussi important que le film, une star du montage (Marie Josèphe Yoyotte) qui a travaillé avec Beineix, Pinoteau, Rappeneau, Truffaut, Corneau, ... Au total 450 personnes ont collaboré à ce projet, des ornithologues à un zoologiste. La liste des remerciements est longue : il y avait ceux qui étaient en charge des oiseaux, les 40 pilotes d'engins silencieux (ULM), les conseillers animaliers, les conseillers scientifiques, le storyboarder... Sans compter les mécènes et bienfaiteurs :
 - les associations de défense des animaux et des oiseaux,
 - la femme la plus riche de France et propriétaire de L'Oréal, Liliane Bettencourt,
 - Yves Robert et Danièle Delorme (La Gueville),
 - des organismes publics ou presque (EDF, Crédit Agricole, Primagaz, la compagnie aérienne Lufthansa, la Fondation Gan pour le cinéma),
 - les chaînes de TV (France 2, France 3, TSR),
 - le distributeur (Bac Films) et son PDG (Jean Labadie).
A cela s'ajoute l'appui des ambassades de France dans le monde et de chaque pays en France, ainsi que les conseils régionaux et généraux des lieux de tournage (et notamment la Basse Normandie et le Calvados, lieu de résidence sédentaire pour futurs migrateurs).
Juste après le sacre aux Césars (5 sculptures remportées), le prix de la CST à Cannes et le triomphe public planétaire de Microcosmos, Perrin se lance dans l'aventure des oiseaux migrateurs. Quatre ans de travail, des oiseaux par milliers (pour 27 espèces), près de 175 sites sélectionnés dans une cinquantaine de pays sur tous les continents, aux deux extrêmes de la planète (de la canadienne ile Bylot en Arctique aux terres australes antarctiques françaises). Il faut inventer des engins aussi silencieux, rapides et souples que les stars à ailes, déplacer à dos d'ânes ou de chameaux les oiseaux dans certains endroits pour trouver l'effet cinégénique recherché...

Une logistique unique et formidable.
Mais le plus fort fut bien le casting de ce film sans acteurs. ils furent choisis avant leur naissance. Quelques critères : trajets migratoires, couleurs de plumage, morphologie, ... il fallait trouver une équité entre les pays, les flux, les espèces. Plusieurs centaines d'oeufs émigrent vers la France, en Normandie, QG top secret dont filtreront quelques photos de reportage pour Télérama. Géo devra attendra le mois précédent la sortie pour y consacrer un numéro spécial. Aucun magazine de cinéma ne semble suffisamment s'intéresser à l'aventure pour mettre une bernache en couverture.
A partir d'un logiciel spécifiquement créé pour le film, on contrôle et on observe la croissance de chacun, en fonction des températures de l'hydrométrie nécessaires à leur éclosion. Galatée Films embauche une quarantaine de papas/mamans ("accompagnateurs"). Ces êtres humains vont protéger, guider, imiter leurs "progénitures" pour qu'elles s'habituent à l'Homme et à son contact.
Ils parlent aux oeufs et on leur diffuse comme musique d'ambiance les bruits des moteurs des ULM. Le poussin l'assimile à une présence maternelle. Chaque oiseau aura son prénom. Les accompagnateurs ne quitteront plus les oiseaux d'un millimètre lors du tournage. C'est leur voix qui rassure et qui dirige les oiseaux dans leurs voyages. Parfois, les cris de leurs congénaires "sauvages" parasitent leur instinct.
Dans chaque pays, on installe des bases mobiles, on apporte des ULM fabriqués pour que le caméraman ait un champ de vision correct ou encore une caméra télécommandée comme un missile, capable de résister à - 60 degrés celsius. A tous ces oiseaux-stars, on ajoute les prises de vues "live" des oiseaux qui s'invitent à la production sans contrats. Aux réalisateurs de fiction, on adjoint des spécialistes du documentaire animalier pour ne rien manquer. 450 kilomètres de pellicule plus tard, Le Peuple Migrateur aura relevé de l'exploit en terme de production. Il faut remonter au mégalo David Lean pour avoir une idée de l'ampleur du rêve et de l'exigence de sa réalisation. A coup sûr, ce film fera oublier le cauchemardesque "The Birds" d'Alfred Hitchcock, pourtant tiré d'un fait divers réel. Il est vrai que les oiseaux fascinent le cinéma : "Birdy", "Ghost Dog", ... Mais jamais ils n'ont eu plus bel hommage au cinéma : car pour une fois ils ne sont ni inspirateurs, ni seconds rôles, mais bien au premier plan.
Le dernier opus de Perrin devrait être Le Peuple de l'eau, avec le chant incomparable des baleines...