Production : Menahem Golan & Yoram Globus (Cannon)
Réalisation : Jean-Luc Godard
Scénario : Jean-Luc Godard & Norman Mailer, très librement adapté de William Shakespeare
Photographie : Sophie Maintigneux
Musique : Jean-Sébastien Bach
Montage : Jean-Luc Godard
Durée : 90 min

Casting :

Jean-Luc Godard (le professeur)
Peter Sellars (William Shakespeare junior)
Léos Carax (Edgar)
Julie Delpy (Virginia)
Woody Allen

 

 
JL Godard sur EN
Julie Delpy sur EN
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  (c) Ecran Noir 96-02
King Lear 
USA / 1987 / Sortie France le 03 avril 2002
(C) Sonia Sieff
 
L'écrivain Norman Mailer doit écrire une adaptation du Roi Lear de William Shakespeare. L'histoire se passe après Tchernobyl. Le monde est revenu à la normale mais l'art a disparu. William Shakespeare junior part à la recherche d'œuvres disparus. Sur son chemin, il croise Don Léaro, sa fille Cordelia et un professeur qui fait figure de nouveau fou du roi qui professe des vérités. Cordelia aime son père mais ne parvient pas réellement à lui dire son amour tandis que ses deux sœurs ne sont pas avares en paroles. Mais la vérité de l'amour s'exprime-t-elle par les mots ? La vérité se situe-t-elle dans les images ?
 
   Pourquoi ressortir aujourd'hui King Lear, près de seize ans après sa création ? Retour en arrière. En 1986, Jean-Luc Godard, après une période de cinéma politique (avec le groupe Dziga Vertov) est revenu à des films plus accessibles avec Sauve qui peut la vie, Passion, Prénom Carmen et Je vous salue Marie. Les producteurs Menahem Golan et Yoram Globus, directeurs de la société Cannon, cherchent à acquérir une sorte d'éthique cinématographique après avoir produit Chuck Norris, Sylvester Stallone et autres Jean-Claude Van Damme. Ils produisent alors Cassavetes (Love Streams), Robert Altman (Fool for love) ou encore Franco Zeffirelli (Otello). C'est dans ce cadre qu'intervient Godard. La rencontre des trois personnages a lieu au festival de Cannes en 1986. La décision d'adapter Le Roi Lear de William Shakespeare est prise. Seule condition : le film doit être prêt pour le festival suivant, en 1987. Le réalisateur honore son contrat malgré quelques péripéties (l'écrivain Norman Mailer - Les Nus et les Morts- quitte le tournage au bout de quelques jours) et le film est montré à Cannes en 1987… au grand dam de ses producteurs qui détestent le résultat et qui menacent d'intenter un procès au cinéaste. La faillite de la société Cannon mettra fin au litige mais enterrera malgré tout King Lear pour raisons juridiques. C'est donc la première fois que le film est aujourd'hui montré au public puisque celui-ci n'avait pu être vu, à l'époque, que par une poignée de journalistes. Autant dire qu'un film inédit de Maître Godard ne se rate pas…
 
 
KING GODARD

" Malheureuse que je suis. Je ne puis élever mon cœur jusqu'à ma bouche. "

Pour parler de King Lear et de Godard en général, on pourrait citer un dialogue de Gérard Depardieu dans Hélas pour moi : " Ce que l'on croit est une image de la vérité ". Le problème est là. Nulle part ailleurs. Et King Lear éclaire parfaitement cette interrogation cruciale du réalisateur.
Mais partons de l'intrigue de la pièce Le Roi Lear : un roi a trois filles. Avant de léguer son pouvoir, il désire entendre l'amour qu'elles lui portent. Deux d'entre elles, perfides, lui assurent un amour sans bornes. La troisième, plus discrète, lui témoigne d'un amour simple d'une fille envers son père. Déçu par cette simplicité, le roi ne partage son royaume qu'en deux. Privé de son pouvoir, il est successivement rejeté par les deux premières et trouve réconfort auprès de la troisième qu'il avait déshéritée. Celle-ci décide, en levant une armée, de reconquérir, pour son père, la totalité du royaume.
Quel lien avec l'œuvre de Jean-Luc Godard me direz-vous ? Eh bien le thème de la pièce de Shakespeare semble en être l'illustration parfaite. La quête de la vérité et la défiance vis-à-vis des apparences a toujours été au centre des préoccupations du cinéaste. Dès Le Mépris, le réalisateur nous assénait une ouverture grandiose : " Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs ". On pourrait citer également une autre de ses phrases : " ce n'est pas une image juste, c'est juste une image ". Avec King Lear, on comprend complètement ce qu'il veut dire : il faut se méfier des images car on peut les tordre pour leur faire dire ce que l'on veut et ce n'est pas forcément la vérité. Il convient toujours de les interroger plus avant.
Parallèlement, Godard semble se justifier de son éloignement de la narration dans sa recherche de la vérité. Il semble dénoncer l'obligation de dire les choses pour les percevoir (" a-t-on besoin de dire rouge pour voir rouge ? " autrement dit : a-t-on besoin d'une histoire pour faire un film ?).
Bien sûr, le réalisateur prend soin de nous signaler que le film n'est qu'une étude (" a study " puisqu'il est tourné en anglais). Comme dans la plupart de ses films (exceptés les premiers), la narration n'est pas au rendez-vous. Il s'agit plutôt d'un essai quasi métaphysique sur l'image et la vérité. King Lear relève de Shopenhauer (" le monde est ma représentation ") et de Heidegger (l'arbre que je vois est-il dans mon esprit ou bien est-il physiquement sur la terre ?). Pour cet essai, Godard endosse le rôle du fou du roi (il faut le voir avec ses chaussettes rouges, ses fils électriques en guise de perruque et son cigare en train de cirer ses chaussures !) et proclame des phrases sentencieuses sur un ton incantatoire. Jamais le propos du cinéaste n'avait été aussi limpide. Comme si la parabole shakespearienne l'éclairait pour le rendre complètement compréhensible.

- Laurence