Production: Alain Sarde, Canal +
Réalisation: Nicole Garcia
Scénario: N.Garcia, Jacques Fieschi, Frédéric Bélier-Garcia
d'après le récit d'Emmanuel Carrère
Photo: Jean Marc Fabre
Montage : Emmanuelle Castro
Musique : Angela Badalamenti
Durée: 129 mn
Daniel Auteuil : Jean Marc Faure
Géraldine Pailhas : Christine
François Cluzet : Luc
Emmanuelle Devos : Marianne
et aussi Bernard fresson, François Berléand
Festivalcannes.org
Géraldine Pailhas sur EN
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L'Adversaire

France / 2002 / Sortie en salle le 28 août 2002
Sélection Officielle / Présenté le : 24.05.02

C'est une histoire vraie, mais les noms ont changé. Jean-Marc Faure a menti pendant 18 ans. Il a fait croire qu'il était médecin, qu'il travaillait à l'OMS à Genève. 18 ans de mensonges à ses parents, sa femme, ses enfants, ses amis, son amante. Et le 9 janvier 93, il craque; ayant peur de voir sa famille tout découvrir, après avoir pensé à se suicider, il décide de les tuer. Machinalement.
Sans aucune explication.

Garcia a une lourde responsabilité sur ses épaules. Place Vendôme, son dernier film de cinéaste, a valu à Deneuve un Prix d'interprétation à Venise et 12 nominations aux César. Nicole Garcia est la seule réalisatrice à être sélectionnée en Compétition Officielle cette année. Sa première fois sur la Croisette aussi. Pour les acteurs, ce sera plus facile. Auteuil reçu le Prix d'interprétation pour Le Huitième Jour. Pailhas avait monté les marches l'an dernier avec La Chambre des Officiers. Cluzet n'avait été à Cannes que pour Chocolat, il ya très longtemps. Et Devos, récente césarisée, faisait partie de l'équipe d'Esther Kahn en 2000.
Le scénario est basé sur un livre, lui même reflet d'un fait divers réel (l'Affaire Romand). Un autre film avait traité le même sujet l'an dernier, L'emploi du temps (de Laurent Cantet). C'est aussi la seconde fois qu'un roman d'Emmanuel Carrère entre au Palais. Avec Claude Miller (qui a dirigé Garcia dans Betty Fisher l'an dernier), La Classe de Neige avait obtenu le Prix du Jury. Pour écrire le script, Nicole Garcia, adepte des portraits psychologiques, des personnages sombres et mystérieux, des destins qui s'accomplissent vers le tragique, lee mélancolique, ou la sérénité, s'est adjoint deux "plumes", Fréderic Bélier-Garcia et Jacques Fieschi. C'est à ce dernier que l'on doit des films comme Les destinées sentimentales, Nelly et Monsieur Arnaud, Les nuits fauves, Police et tous les films de Nicole Garcia.
Ajoutons la musique composée par Angelo Badalamenti, compositeur attitré des films de David Lynch (Président du jury!), et qui avait déjà travaillé avec Jeunet, Leconte et Campion.

Post-Cannes
Le film n'a reçu aucun prix, et la critique fut mitigée, comme elle l'est souvent avec les films de Garcia. La campagne média a commencé tôt au mois d'août. Une campagne où l'on voit les personnages souriants, entourés de verdure, et des phrases chocs : Mari aimant, père modèle, Insoupçonnable. Grosse sortie de fin août, le fim est calé au même endroit que Les Voleurs (film de Téchine, avec Auteuil, sélectionné à Cannes) qui avait su séduire un million de cinéphiles. La campagne promotionnelle risque cependant de décevoir ceux qui s'attendent à un film "lumineux" et romantique. Tout y est froid, solitaire et sombre. C'est le troisième film français de la compétition à sortir en salles. Irréversible avait attiré 700 000 spectateurs tandis que Marie Jo et ses deux amours avait détourné presque 500 000 personnes. Des scores honorables. L'Adversaire ne peut pas faire moins, d'autant que son distributeur, Bac Films est économiquement mal-en-point.

 

MA VIE EST UN ENFER

"- Parfois je ne me souviens pas."

Nous savions Nicole Garcia une grande directrice d'acteurs. Ce talent là existe toujours. Tous ses films semblent imprégnés d'une égale noirceur élégante, d'un mystère sublîmé. Ils ont ce désir de dire et ce regret du silence. A chaque film, Garcia nous illumine avec ses personnages détruits, leur psychologie complexe, des passés lourds. Ici, le décor forestier, montagnard pèse plus encore et laisse une place à l'imaginaire, tout comme il enferme les pulsions.
Son regard s'est donc posé sur un homme qui ne voulait pas décevoir et qui a préféré l'antre de la folie plutôt que la chambre de la vérité. "Il est toujours vivant". La bête n'a pas pu mourir. Son orgueil aura tué tous les siens. A l'opposé de films du genre comme La cérémonie ou Les soeurs Papins, L'adversaire est issu d'un cinéma clinique, froidement observateur, profondément compréhensif, très proche d'Egoyan finalement. Si la caméra ne juge pas, elle va bien plus loin que l'effleurement en nous faisant rentrer dans la peau de cet homme malheureux, triste et obscur.
Avec tact et sensibilité, la réalisatrice le place dans les coins, celui d'une pièce ou d'une photo, l'isole malgré lui des autres, le cache dans les zones d'ombre. Mais elle s'attache aussi à l'humaniser, à exprimer le plus précisément possible ses motivations plutôt que ses mensonges. C'est d'ailleurs un mensonge anecdotique qui sème le doute chez sa femme. Cette spirale vers la mythomanie et même la schizophrénie aliénante ne se déroule pas sous nos yeux. Nicole Garcia a choisit un autre film, une autre manière de voir. Elle déstructure son récit, multiplie les formes de témoignages (chez le juge, sur une cassette vidéo, par flash backs) pour nous permettre de cerner cet assassin qui voulait juste rester digne aux yeux de tous et ne pas décevoir ceux qu'il aime. Pour lui l'essentiel se plaçait dans les sentiments, pas dans le quotidien.
Ce brillant exercice est certainement la meilleure mise en scène de Garcia. Utilisant l'espace avec aisance, elle cherche toujours le meilleur angle pour induire la sensation ou l'explication de l'image. A cet égard, le meurtre des enfants est monstrueusement maitrisé et cynique.
Face à cette surdité collective (les gens ne l'écoutent pas), il entend souvent mal lui aussi, comme si les mondes se séparaient. Il ne peut pas être confronté à la réalité ni à la vérité. Il profite de la duplicité de ses proches, de leur complicité qui aboutira à un sentiment de culpabilité. Seul avec lui même, seul au monde, on le découvre dès le début s'égarant dans une maison vide comme il se perd dans son propre cerveau. Cet expert ès mensonges, cet homme si secret esquivait les questions. Mais Nicole Garcia ne cherche pas de réponses. Comme fascinée mais tout autant répugnée par ces actes horribles, elle démembre son scénario pour atteindre une moelle dont la colonne vertébrale est son acteur, l'irréprochable Daniel Auteuil.

  (C)Ecran Noir 1996-2002