Production: Ognon Pictures, Arte Cinema
Réalisation: Elia Suleiman
Scénario: Elia Suleiman
Montage: Véronique Lange
Photo: Marc-André Batigne
Musique: Mirwais, Natasha Atlas, Marc Collin...
Durée: 92 mn
Elia Suleiman : E.S.
Manal Khader : la femme
Nayef Fahoum Daher : le père
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Palestine
 
 

Intervention divine (Yadon ilaheyya)

Palestine - France / 2002 / Sortie en salle le 2 octobre 2002
Sélection Officielle / Présenté le : 20.05.02
Prix du jury, Prix de la Critique - Cannes 2002

Nazareth. Jérusalem. Un check point. La ville est tranquille, en apparence. Mais les querelles se multiplient.
Un Palestinien de Jérusalem et une Palestinienne de Ramallah essaient de vivre une histoire d'amour au milieu de ces petites anicroches. Ils se retrouvent au check point frontalier.
Leurs fantasmes se traduisent alors pas des actes héroïques afin de sortir de leur condition...

Elia Suleiman a l'honneur d'être le premier cinéaste Palestinien a avoir été sélectionné en Compétition Officielle. Son précédent opus, Cyber Palestine, un court métrage, était retenu à la Quinzaine des Réalisateurs l'an dernier. Il s'agit de son second long métrage, 6 ans après Chronique d'une disparition, Prix du meilleur premier film à Venise.
Ce quadra a longtemps vécu à New York et a commencé à tourner ses courts métrages documentaires là bas. Souvent primé, ce porte-parole de la culture Palestinienne vient à Cannes auréolé de toutes les promesses tandis que le conflit isarelo-palestinien est à son paroxysme.
Ami d'Amos Gitaï (ils ont co-réalisé Guerre et Paix à Vesoul en 97), il revendique clairement la création d'un Etat Palestinien. Son père fut torturé à mort en 1948, en tant que résistant (il fabriquait des armes pour les Palestiniens).
Ce film est une sorte d'exutoire : l'explosion du tank a été tourné en France dans un camp militaire. 6 kilos de poudre et 75 kilos d'explosifs pour se défouler. Le plus difficile fut évidemment de recruter des comédiens israëliens, qui étaient partager entre convaincre le cinéaste qu'ils pouvaient faire le rôle (en ayant déjà torturé des Palestiniens) et ne pas blesser la fièreté du réalisateur (en tant que Palestinien).
Au final, Suleiman pourrait poursuivre l'itinéraire lancé par No Man's Land : un pays neuf dans le cinéma, un message politique fort, un scénario léger et une corbeille de prix à travers le monde...

Post-Cannes
Le film sort en France deux ans après le début de l'Intifada. Deux où la Palestine et Israël se font une guerre d'usure, de nerfs, où les morts civils ne se comptent déjà plus. L'AFP déclare :"Le 28 septembre 2000, Ariel Sharon, à l'époque chef de l'opposition, se rendait sur le site le plus disputé de Jérusalem, l'Esplanade des Mosquées pour les musulmans, le mont du Temple pour les juifs. Cette visite de celui que les Palestiniens considèrent comme un criminel de guerre fut perçue comme une provocation. Des manifestations dégénérant en émeutes ont alors commencé, insurrection qualifiée de deuxième "Intifada" ("soulèvement" en arabe) en référence à la première "guerre des pierres" (1987-1993), qui avait contribué à déboucher sur les accords d'autonomie d'Oslo de 1993.".
Depuis, Oslo n'est plusqu'un fantôme. Sharon mène une politique d'extrême droite. Arafat est affaiblit comme jamais. L'Occident est incapable de jouer les arbitres. On dénombre 1800 morts palestiniens, 620 tués israëliens. Le monde se divise de plus en plus entre les pro et les anti, ceux qui veulent la paix à tout prix et ceux qui réclament une justice pour tous. Dans ce contexte, le film de Suleiman sort avec le soutien certain des médias français. Après les échecs diplomatiques, l'impasse politique, l'enfer sur la Terre promise, un film ne résoudra certainement rien. Mais il sera le témoin d'une période aussi absurde que Intervention divine est insolite.

 

LA VILLE EST TRANQUILLE

"- Un ballon essaye de passer! On peut le descendre?
- Attendez les ordres!"

Précédé d'une flatteuse rumeur, cette Intervention divine nous déconcerte un peu. Le film d'Elia Suleiman mélange les styles (visuels et scénaristiques) passant de la poésie au surréalisme, de l'action au drame. Nous sommes ainsi confrontés à une série d'anecdotes et de fantasmes, de comique (ou drame) de répétition et de petits tracas échappés du réel. Cette incohérence fournit au film à la fois son charme et ses limites. Car le procédé se rapproche davantage du cinéma expérimental, avec un collage d'images inventives et finalement peu de dialogues. Le ton irrévérencieux (mais respectueux) contraste avec des scènes plus primaires et puériles. Nous voilà désorientés.
Dans cette douce folie ordinaire, tout s'évade du réel, à la manière d'un Tati (encore lui): un père noël fuit des gamins à travers un paysage estival, un homme insulte chaque personne qu'il croise, les malades fument dans les hôpitaux, la police est ridiculisée par une touriste... Nous naviguons dans un délire ordonné, à travers des historiettes qui se font écho. Ce n'est pas forcément clair, et laisse juste une impression jouissive de défoulement. Il n'y a pas de contre-opinion, de message dialectique, juste des espoirs et des fantasmes. Si certains d'entre eux sont habiles et bien menés (l'explosion du Tank, le ballon transfrontalier), d'autres sont complètement ratés et contre-productifs : le stand de tir israëlien et la super-Palestinienne a des airs de mauvais feuilleton télé au rayon série ado, où les méchants sont trop clairement identifiés. Peut-être est-ce l'effet voulu? Inégal dans le rythme, le film est déséquilibré cinématographiquement : certains plans sont très inspirés, au service du scénario; d'autres complètement dénués de sens. Mais les premiers l'emportent sur les autres, et laissent une impression enjouée.
L'absurde conduit ainsi à un récit décousu, plein d'humour, ouvertement pro-palestinien. Mais par quel moyen? Suleiman ne répond pas : il utilise des métaphores, de l'imagination mais ne choisit pas la paix (avec l'amour par exemple) ou les armes. On sent un désir de revanche, hélas confus. Face à toutes les petites incivilités cumulées, cet artiste qui a le physique d'un Buster Keaton et le regard abattu d'un Pacino, polyvalent, imaginatif, corrosif nous laisse un peu dans un No Man's Land. Sans savoir où aller, après s'être promené dans un dédale de petites séquences reflétant la vie quotidienne d'un Etat qui n'existe pas. A défaut d'une maîtrise du sens, reconnaissons au moins que Suleiman sait placer sa caméra là où il faut : quand ça doit faire rire, ou quand ça doit faire mal. Tout est question de points de vue. Le sien mérite une place au Palmarès.

  (C)Ecran Noir 1996-2002