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Ghost of mars
USA / 2001
Sortie en France le 21 novembre 2001

Fiche technique :
Production : Screen Gems et Storm King Productions
Réalisateur : John Carpenter
Scénariste : John Carpenter et Larry Sulkis
Photo et montage : John Carpenter
Son : Willie D. Burton
Musique : John Carpenter
Durée : 98 mn

CASTING :

Natasha Henstridge (Melanie Ballard) - Ice Cube (James « Desolation » Williams) - Jason Statham (Jericho Butler) - Clea DuVall (Bashira Kincaid) - Pam Grier (Helena) - Joanna Cassidy (Whitlock)

An 2176. La Terre a fait de Mars une immense colonie minière. Une société matriarcale s'est instaurée dans ce nouveau Far West où 640 000 colons tentent de survivre. Le lieutenant Ballard et son équipe reçoivent l'ordre de partir pour Shining Canyon, petite ville isolée de la vallée sud de Mars, pour en ramener le célèbre prisonnier James "Desolation" Williams", enfin sous les verrous. Sur place, la ville est vide de toute âme, si ce n'est "Desolation" et une poignée de prisonniers en cellule. Des cadavres atrocement mutilés jonchent les baraquements voisins.
À quelques dizaines de mètres, au creux du cratère de la mine à ciel ouvert, des milliers de guerriers en transe se prêtent à un rituel étrange et sanglant. La présence des nouveaux arrivants ne semble pas vraiment les réjouir.
"La nature humaine ne change pas fondamentalement. Où que vous viviez, il y aura des flics et des bandits, des démons et des saints, des bons et des méchants. Et il arrive même que la frontière du bien et du mal soit quelque peu brouillée" déclare John Carpenter en guise d'introduction à "Ghost of Mars".
Le réalisateur s'était déjà penché maintes fois sur la planète rouge dans les années quatre-vingt, sous forme de réflexions et de projets avortés, toujours fasciné par ce que Mars symbolise à nos yeux depuis des siècles : le sang, la guerre, la passion, et l'amour.
En laissant mûrir le projet au fil des années, Carpenter a échafaudé un scénario se basant sur l'arrière-plan mythique de la planète rouge pour le retranscrire dans cette épopée sanglante vécue par une femme flic et un ancien criminel forcés de s'allier pour vaincre les forces du mal. Dans le scénario de Carpenter et de son complice Larry Sulkis, des "forces" dormantes dans les ruines enfouies d'une ancienne civilisation sont réveillées par les forages miniers. Ces forces se dissimulent dans un épais brouillard qui aspire les hommes, permettant ainsi aux "créatures" d'investir le corps de ces derniers, et de se charger de massacrer tout colon foulant impunément la terre martienne.
"Les films de Carpenter ont toujours un ancrage humain fort", précise Sandy King, la productrice et la compagne du réalisateur de "The Thing". En effet, chaque nouveau long-métrage du maître évoque le combat sous forme de survie, choisissant d'élever au rang de héros les personnages les moins aptes à tenir ce rôle. Carpenter transforme un criminel sans états d'âme en saint et laisse un flic s'adonner à ses penchants brutaux. Subtilement, Carpenter feint d'adopter nos critères moraux pour mieux les pervertir.

Le tournage de "Ghost of Mars" s'est déroulé au Nouveau-Mexique, dans une carrière de gypse désaffectée, sur le site sacré de Zia Pueblo. Cette réserve indienne abrite la tribu Zia et, en vertu des traditions de la tribu, un sorcier est venu bénir le plateau à la veille du premier jour de tournage. Transformer cette carrière en exploitation minière ne fut pas chose facile, surtout en huit semaines de postproduction. Le chef décorateur a conçu le plateau sous la forme d'une gigantesque arène de 22 hectares, avec une rue principale (comme dans tout bon western), une douzaine de bâtiments grandeur nature, un bon bout de voie ferrée, et 460 000 litres de peinture rouge biodégradable au sol (la pluie n'arrangeait pas le travail). Selon les désirs de John Carpenter, l'esthétique high-tech fut bannie dans la conception des décors, recréant avec des formes simples et puissantes le type de ville "champignon" telle qu'on pouvait la trouver durant la conquête de l'Ouest. Le train, acteur à part entière, fut lui aussi fabriqué dans le même esprit.
En bref, les éléments classiques de tout bon western.

LE ROUGE ET LE NOIR

"Vous savez tous comme moi qu'on ne peut pas partir comme ça. Il faut y retourner !".

Nouveau grand cru. Une robe d'un rouge éclatant, un goût puissant, un zest d'amertume, une odeur riche et exaltante, rare sont les vins qui tiennent si bien en bouche. Carpenter, l'artisan vigneron, façonne son produit avec amour, connaît l'importance que joue le temps sur ses créations, réinvente perpétuellement la passion et le savoir faire. En un mot : l'audace. Il faut sentir la poussière sous les bottes, le vent dans les plaines rocheuses, les cris des tribus indiennes, le crépitement des armes. Le remake de "Rio Bravo" ? Non, "Ghost of Mars" !. Oublions un instant cette lointaine planète rouge sur laquelle se battent ces preux guerriers, un instant seulement, pour restructurer bout à bout le puzzle de ce grand film de science-fiction. Morceau après morceau, et bien au-delà de l'hommage au genre, Carpenter vient de redonner tout son sens au Western, toute sa pureté, son élan de bravoure, son culte du héros. Les pionniers d'un monde nouveau (l'Ouest sauvage quoi, le vrai !) prennent possession d'une terre qui ne leur appartient pas, et une tribu indigène vient les en dissuader avec leur bagage de rites barbares, de maquillages guerriers, et d'armes blanches plus ou moins bricolées. Edifiant non ?
Chaque plan, et dans tous ses aspects (visuels et narratifs), reflète la digestion parfaite des préceptes des grands maîtres (Hawks, Ford, Mann..) qu'adule le réalisateur, qui offre à cet assemblage délicat (mais quand même un peu bourrin, non mais des fois !) la délocalisation qu'il mérite, à savoir Mars. La conquête de l'Ouest ne fait plus rêver, les Indiens sont alcooliques et les cow-boys votent Bush en bons texans qu'ils sont. Reste, et c'est pour bientôt, la conquête de la planète rouge. Rouge comme le sang qui gicle à gros jets bouillonnants, pour notre plus grand plaisir, avec une notion de rythme que seul Carpenter sait mettre en place (tout vient crescendo, patience). En revisitant la globalité de son ¦uvre en un seul film (amusez-vous à découvrir les éléments que Carpenter emprunte à ses anciens films, ils sont nombreux), le maître de l'épouvante signe l'avènement d'une carrière, la synthèse parfaite, l'ultime récital qui, espérons-le, n'est pas le dernier de ce personnage emblématique. Derrière la silhouette malingre et l'énorme casquette qui camoufle sa tignasse de cheveux blancs, Carpenter demeure l'éternel discret, l'humble, peu amateur de lauriers, l'artiste consciencieux, pas toujours révélateur finalement de la personnalité complexe de l'homme sous qui se cache l'un des plus grands cinéastes du XXe siècle.
Mais, comme toujours, "Ghost of Mars" est empreint de cette noirceur opaque qu'on retrouve dans l'¦uvre complète du cinéaste, qui brise avec sadisme les fondations de l'"American Way ". Sans concessions, Carpenter semble attaché à nous livrer des films des plus en plus fatalistes, la seule lueur d'espoir résidant dans le refus de l'ordre établi et corrompu, tout comme dans la rage que développent ses héros désabusés et marginaux pour conserver leur intégrité. La dynamique du cinéma de genre au service de la revendication sociale. Naturellement Hollywood n'aime pas les fauteurs de trouble. Taulé général lors de la sortie américaine du film. Peu importe, "Ghost of Mars" est l'un des meilleurs bébés du maître, qui se réinvente chaque fois avec la même volonté acharnée d'aller toujours plus loin avec toujours moins de moyens.
Pied de nez aux majors qui engloutissent des millions dans la production des pires navets.

Romain

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