Les mondes animés de Jean-François Laguionie

Posté par MpM, le 2 octobre 2019, dans Courts métrages, Evénements, Festivals, Films.

Alors qu'il s’apprête à fêter son 80e anniversaire ce 4 octobre, Jean-François Laguionie semble n'avoir jamais connu année plus remplie. Après avoir reçu un hommage en juin dernier au Festival du film d'animation d'Annecy, puis avoir été l'invité du Festival de la Rochelle en juillet, il est à l'honneur tout le mois d'octobre dans le cadre de la Fête de l'animation, ce qui l'amènera à accompagner une rétrospective de ses films à travers la France.

En parallèle, trois possibilités de (re)découvrir son travail sont offertes au spectateur, en attendant son nouveau long métrage Le Voyage du prince (le 4 décembre), et le suivant, Slocum, annoncé en 2020. Ce 2 octobre, place donc à la sortie restaurée de son premier long métrage ainsi qu'à deux programmes de courts.

Gwen et le livre de sable

Gwen et le livre de sable est sorti en 1984, réalisé au sein de l'aventure collective et indépendante de La Fabrique, dans les Cévennes. Il s'agit d'un "conte pour tout le monde" réalisé dans une "addition" de dessins animés et de papiers découpés, selon les propres mots du réalisateur. Après le départ des Dieux, les Hommes vivent dans le désert, au milieu d'objets étranges qui ont perdu pour eux toute signification. Leur vie est ponctuée par la chasse aux sortes d'autruches colorées dont ils mangent les plumes et par les apparitions du "Makou", une créature féroce qu'ils craignent plus que tout.

Construit en trois parties, le film est un mélange de récit d'aventures et de voyage initiatique existentiel qui porte sur le monde réel un regard distancié, ironique et moqueur. Jean-François Laguionie, avec le ton qu'on lui connaît, fustige la société de consommation, le poids des religions, la tentation du repli sur soi et l'absurdité galopante de nos modes de vie. Les personnages croisent ainsi des pyramides d'objets à l'abandon, devenus obsolètes ou détournés de leur usage, que les êtres humains appelle "images". Une fourchette gigantesque devient un pont-levis, un enchevêtrement de portes forme un labyrinthe. Quant à la "cité des morts", on y voue un culte très sérieux à un livre trouvé dans le désert, qui n'est autre qu'un catalogue de vente par correspondance plein d'arrosoirs, de caisses à outils et autres perceuses dont le "prêtre" psalmodie avec dévotion les descriptifs.

Si le ton du film est une merveille d'humour et de poésie mêlés, avec notamment une voix-off d'une très grande beauté, son esthétique est tout aussi admirable, avec ses textures douces et ses mille nuances de couleurs dans le ciel. Le surréalisme, et notamment une certaine parenté avec le travail de Dali, affleure dans les paysages où des mannequins démembrés, des téléphones géants, ou encore des lunettes démesurées surgissent quand on ne les attend pas, au beau milieu d'un désert qu'on devine à perte de vue. L'une des très belles idées visuelles du film consiste également à faire se déplacer les personnages sur de hautes échasses qui leur donnent des airs d'oiseaux gracieux et libres, mais on pourrait citer mille autres petits détails (l'horloge-ascenseur, les rêves projetés sur les murs, les lampions-papillons multicolores...) qui offrent au film un univers singulier à la beauté et à la force incomparables.

Il faut absolument voir et revoir Gwen et le livre de sable pour s'imprégner de ces visions, qui sont celles d'un monde nouveau bâti sur les vestiges de notre civilisation. Un futur non pas apocalyptique, mais dans lequel l'être humain apparaît comme finalement libéré d'une partie de ses chaînes, et où la vie (mais aussi l'amour) reprend le dessus sur tout ce qui n'est pas essentiel. A sa manière, légère et décalée, Jean-François Laguionie annonce au fond l'issue qu'il semble appeler de ses vœux : la fin de l'ère des objets au profit du temps de l'humain.

Bas les masques & Les mondes imaginaires

Côté courts, le programme Bas les masques, destinés aux enfants à partir de 6 ans, comporte quatre films réalisés entre 1964 et 1976 : La demoiselle et le violoncelliste (rencontre sous-marine surréaliste entre un musicien et une jeune pêcheuse de crevettes), Potr' et la fille des eaux (une légende celtique sur un pêcheur et une sirène qui veulent gommer leurs différences pour mieux vivre leur amour), L'acteur (les multiples transformations d'un jeune comédien qui joue un vieillard) et enfin Le Masque du diable (la rencontre, un soir de carnaval, d'une vieille femme et du diable, autour d'un jeu de dominos).

On retrouve dans ces films le goût de Jean-François Laguionie pour le jeu des apparences et des faux semblants, les personnages étant souvent différents de ce qu'ils paraissent au premier abord. Il aime lancer de fausses pistes et ménager des retournements de situation. Il propose également en fil rouge, et toujours avec humour, une réflexion sur les masques que chacun porte au quotidien, sur la question de l'âge, et sur le couple et la dualité. Visuellement, on retrouve là-aussi son style posé fait de larges plans fixes et de lents travellings à l'intérieur de l'image, et un goût certain pour les ciels et les fonds sous-marins.

Le deuxième programme, intitulé Les mondes imaginaires, comporte quant à lui trois films en plus des quatre déjà cités. Il y a tout d'abord L'arche de Noé (1967), dans lequel des scientifiques sont à la recherche des vestiges de l'arche mythique. Mais alors que des pluies diluviennes s'annoncent, un vieil ermite répare l'arche, et entreprend de la repeupler. Une variation plutôt joyeuse autour du récit biblique, qui montre notamment les difficultés concrètes rencontrées par le nouveau Noé pour réunir un couple de chaque espèce.

Une bombe par hasard (1969) raconte quant à lui avec ironie l'arrivée d'un vagabond dans une ville désertée par ses habitants. Mais ces derniers, qui se sont réfugiés à distance à cause d'une bombe sur le point d'exploser, l'observent et, ne pouvant supporter qu'il prenne possession de leurs biens, reviennent juste à temps pour sauter avec l'engin. Là encore, c'est la dérision qui l'emporte, mais aussi la fantaisie, avec ce personnage farfelu qui repeint les maisons en rose, et déchaîne le courroux de villageois plus étroits d'esprit.

Enfin, le programme ne pouvait faire l'impasse sur La Traversée de l'Atlantique à la rame, probablement le court métrage le plus connu de Jean-François Laguionie, qui reçut la Palme d'or en 1978. On y suit un jeune couple qui se lance dans la folle aventure de cette traversée de tous les dangers, et qui rencontre en chemin plus d'obstacles (intérieurs) que prévus. Brillante métaphore de la vie de couple, mêlant à égalité la poésie et l'humour, le film brasse les thèmes évoqués dans les autres films, du temps qui passe aux faux-semblants, en passant par une réflexion plus profonde sur l'existence et sur le couple.

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