Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Corporation


USA / 2004

29.12.04
 



MONSTRE & CIE





"- C'est le PDG et il n' a jamais vu ses usines."

Sur l’affiche une silhouette, un business man anonyme, mi-ange mi-démon. Le coupable idéal et celui qui n’est jamais responsable de rien. C’est exactement de cela dont nous parle The Corporation, un documentaire fascinant, dense mais palpitant, long mais ludique, qui démontre comment les multinationales façonnent notre vie quotidienne pour le meilleur et pour le pire. Et c’est passionnant.
Bon nous sortons de là un peu groggy par la tonne d'informations et de témoignages. Indignés, submergés par la masse d’informations…mais nettement moins cons qu’avant.

The Corporation est un film exemplaire, pas seulement parce qu’il dénonce un certain nombre de scandales (ou plus exactement qu’il réunit des affaires déjà publiées ailleurs), mais parce que de leur juxtaposition brillamment agencée naît une réflexion chez le spectateur. C’est la grande intelligence du film : les réalisateurs n’assènent jamais leurs convictions, ils donnent les clefs pour comprendre. Au public de tirer ses propres conclusions. Et pour nous amener à ce résultat, The Corporation ne lésine pas sur le nombre ni sur la palette de témoignages, émanant tout autant de PDG, d’agitateurs notoires (Noam Chomsky, Michael Moore, Naomi Klein…), d’observateurs du commerce mondial, de spécialistes de la médecine du travail, de journalistes censurés, d’un golden boy et d’un espion industriel… Cette diversité respecte l'intelligence du spectateur et nous offre la possibilité de confronter toutes les contradictions de notre système, ce qui est très rare à une époque où les faits divers, la simplification et le binaire dominent lère de la surinformation, et en fait de la désinformation. Venus de tous les horizons (géographiques et idéologiques), ces témoins se transforment tous en empêcheurs de penser en rond ; parfois malgré eux.

Difficile de rester impassible face aux révélations troublantes sur relations entre IBM et le pouvoir nazi ou le récit de ces 2 journalistes, engagés par la chaîne Fox pour créer un magazine d’investigation et censurés… avant la diffusion du premier reportage, mettant en cause la plus grosse entreprise agroalimentaire des Etats Unis. Impossible de ne pas être parcourue de frissons d’horreur face à la force brute de certains témoignages. "Pour contrôler un gouvernement, on' n'a plus besoin d'un coup d'état", entend-on. On ne rêve plus. En toute candeur, un golden boy raconte que lors de la destruction du World Trade Center, sa première pensée a été pour le cours de l’or. Ou encore cette spécialiste de la communication qui explique posément -et avec une certaine fierté- le " facteur harcèlement ", créé chez les enfants pour obliger leurs parents à acheter ce que les bambins demandent. Et ne parlons pas de " Celebration ", ville du bonheur parfait, créé (et régie) par Disney… A l’opposé, le documentaire charrie aussi des bouffées d’espoirs : les nombreuses analyses acérées des divers observateurs (visions pertinentes et critiques) et les récits de victoires sur cet ordre mondial inhumain. Oscar Olivera (activiste bolivien) retrace comment la population bolivienne à réussit à s’insurger contre la privatisation de l’eau, et a reconquit ce droit essentiel. Ou encore le témoignage de Ray Anderson (parfait dans le rôle du pdg repenti) qui s’est un jour rendu compte de la dégradation infligée à la terre par le système capitaliste (prise de conscience due à des revendications de consommateurs), et qui prône désormais les vertus du recyclable dans son entreprise et lors de symposiums, face à des PDG médusés.

Pour brosser le portrait de cette hydre informe qu’est "La Multinationale", le documentaire s’est construit de manière drôle et originale : puisque -selon la loi- l’entreprise est une personne morale, les réalisateurs appliquent des grilles d’évaluation psychiatrique. Le résultat de ce diagnostique de personnalité est édifiant. A cause d'elle, "tous les organismes vivants sont en déclin."
Divisé en chapitres, qui donnent un coté didactique mais permettent aux spectateurs de ne pas perdre le fil, The Corporation aborde différents aspects tout en suggérant (grâce à un procédé graphique en amorce des chapitres) qu’il pourrait en évoquer d’autres. Il n’est pas question de la catastrophe chimique de Bhopal, ni des ateliers clandestins, ni… Le sujet est vaste et il bien fallu faire de choix. D’ailleurs Jennifer Abbot, monteuse du film, a largement mérité son titre de co-réalisatrice. Un pré-montage de 33 heures (on vous disait que le sujet est vaste…) a permis de bâtir la trame autour des interviews. Et si elles sont aussi percutantes, c’est en grande partie grâce à la technique employée pour les recueillir : les interviewés sont face à la caméra et regardent donc le spectateur droit dans les yeux ; mais pour éviter des réponses déshumanisées, le réalisateur Mark Achbar a fixé sur l’objectif un miroir argenté qui reflète le visage de l’intervieweur (placé en fait derrière son interlocuteur). L’interviewé a ainsi l’impression de s’adresser directement au journaliste, ce qui donne plus de chaleur et de naturel aux propos.

S’inscrivant dans la lignée des documentaires décapants, qui raflent les prix dans les festivals (d’ailleurs The Corporation n’échappe pas à cette règle), l’œuvre de Mark Achbar et Jennifer Abbott assume parfaitement sa filiation : Michael Moore est l’un des intervenants récurrents et un extrait de Roger et moi (film dans le film) vient étayer l’un des thèmes abordés. Il faudrait montrer ce film partout : dans les écoles, les halls de gares, les supermarchés, lors de soirées entre amis (plus instructif que les séances " photos du voyage en Croatie "). Tout simplement parce que c’est un film utile : profond, bien fait et souvent drôle. Et qu’en dépit de tout ce qui y est dénoncé, il donne envie de faire changer les choses et nous persuade que c’est possible. Même si selon la plupart des interviewés, "les gens veulent de l'argent, point final." Pas facile donc, mais possible. "Il faut qu'un jour ce pillage soit illégal." Car c'est bien de Loi dont il s'agit. Celle-ci n'est ni celle de la Nature, ni celle d'un Dieu. Elle nous a échappé.
 
magali, vincy

 
 
 
 

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