Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Palindromes


USA / 2004

09.03.05
 



PÂLES SYNDROMES





"- Je ne veux pas rentrer à la maison.
- C'est ça, tu veux te faire violer par un serial killer.
"

Todd Solondz n'a pas encore trouvé la formule magique entre son style si singulier, aux confins d'un cinéma signé John Waters, un regard sur l'Amérique et ses adolescents, plus proche de Larry Clark et un cinéma allégorique, littéraire qui empreinte les chemins détournés d'un Wes Anderson. Palindromes possède un peu de tout cela. Mais ne parvient pas à nous scotcher, manquant sans doute de moyens et de rigueur. Son film reste au niveau des "historiettes", ou du recueil de nouvelles. Mais grâce à trois moments forts, l'ensemble requiert une intention particulière. Ces trois passages se situent au début (l'affrontement entre Ellen Barkin et sa fille sur la question de l'avortement), au milieu (l'hébergement dans la famille de Mama Sunshine) et à la fin (Jennifer Jason Leigh incarnant Aviva dialoguant avec un garçon à lunettes). Là le film tisse un lien réel entre les deux axes, abscisse et (dés)ordonnée, qui encadrent sa narration : Aviva (et tous ses corps, ses visages) et ce jeune homme binoclard, tantôt témoin, relais, sauveur...
Et c'est bien d'une équation impossible dont il s'agit. Le cinéaste ne sait choisir le moindre mal, entre cette peste matérialiste, égoïste, et ce choléra chrétien, intolérant. S'il faire revenir son personnage principal au bercail (comme un palindrome retourne à ses premières lettres), c'est après avoir souligné son impuissance, une incapacité même, à faire dialoguer deux Amériques.
La peste c'est évidemment cette mère qui donne trop à sa fille en confondant aimer et acheter. Incapable d'écouter sa progéniture. Cruelle faille. Mama don't preach! Quand les parents perdent-ils le contrôle de leurs enfants? Quand ils commencent à perdre leur autorité, à les corrompre avec N Sync, des Ben & Jerry's et une carte de fidélité chez Gap? Comme des bonus à l'Education. Quand ils font passer leur opinion avant le désir de l'autre? Horrible menace que profère Barkin : "Si tu le gardes, tu t'en vas!" Deux secondes après une immense déclaration d'amour éternel et maternel.
Le choléra n'est pas mieux. Mama Sunshine est une femme prête à tuer les avorteurs, ne se rendant pas compte que son crime est impardonnable, plus terrible que celui qu'elle prétend combattre. Elle n'a que le message de Jésus à la bouche (même les gâteaux s'appellent Jesus Tears) mais n'a rien assimilé du message du Christ. Entre sa propagande (Freedom toasts), le lavage de cerveau (version musique pop) et l'identification d'ennemis (trauma du 11 septembre, "shoah" des foetus) cette femme n'a pas toute sa tête et propose du Coca Cola à une obèse qui réclame de l'Evian, boisson "chichi". Ce chapitre, summum du mal être, est la nef de Palindromes.
Il oppose toutes les contradictions. D'un côté les "j'entends Jésus battre dans ton coeur. Jésus est là". Maison du seigneur bonne pour les miséricordieux, intégristes se croyant bons pour avoir recueillis des marginaux, loin des critères hollywoodiens, héritiers de Freaks. Mais les monstres, une fois de plus, comme chez Tod Browning, sont les humains. Ceux qui prient pour les troupes et se foutent de baiser avec une gamine. Ceux qui veulent protéger l'innocence des jeunes filles mais photographient leur intimité, sans leur consentement. Le tout au nom du Bien. Le leur.
Solondz évite pourtant le manichéisme. Aviva tombe amoureuse de son pédophile qui s'interroge sur son impossibilité à évoluer. Combien de fois peut-on renaître? La religion en Amérique a inventé un système en parfaite adéquation avec le système. Hypocrisie de croire qu'on change vraiment, qu'on peut changer de vie, bousculer ses instincts. Mais cela fait vendre, acheter, vivre. Mutations virtuelles qui permet de rester dans le rang, un temps. "Je vais changer et les gens changent pas. Il se promettent d'être meilleurs. Mais ça reste des mots." Le cinéaste tenait là un sujet rarement évoqué mais l'esquive trop vite.
Il a préféré prolonger son oeuvre passée, parcourir ses sentiers pas banalisés. Entre histoires sordides de sexe (ados maladroits, pédophiles sodomites) et jeunesse mal dans sa peau, il continue de dessiner des destins peu flatteurs. Plus réalistes, sans doute.
Tout commence, par exemple, avec l'enterrement d'une adolescente qui n'a jamais su jouer de la musique. On enterre d'entrée les rêves. Bienvenue dans l'âge ingrat. Sale vie où les filles peuvent se faire violer, tomber enceinte et se suicider. C'est une Amérique moyenne, grassouillette, mal fringuée. Aviva peut être tantôt obèse, rousse, noire, androgyne, pas jolie. Elle est avant tout le symbole de l'anti-Barbie de magazine. Ce choix c'est aussi la transition entre l'enfance - "C'est toi. Tu étais si mignon. Dommage que tu aies du grandir" - et l'adulte traînant l'ensemble de ses sacrifices. Solondz révèle ainsi les derniers stades avant l'âge adulte. Ou plutôt tout ce qui consume l'innocence. Les innocents s'en prennent en effet plein la gueule. Ils s'ennuient, pour le meilleur. Pour le pire, il vire consumériste, rempli de graisse, frimeur et mauvais baiseur. Solondz ne fait que décrire une société rongée par ses cancers : religion, bouffe, essence, carte de crédits...
Et plutôt que d'excuser Dieu, il préfère pardonner Aviva. Ultimement incarner par toutes ses actrices dans une scène que n'aurait pas reniée Ozon. Chaque visage est un état inconscient différent traversé par une ado comme les autres. Aviva est universelle. Elle est n'importe qui. Mais quand elle devient adulte, quand elle revient au début de sa phrase, elle trouve une étonnante gravité sous les traits de Jennifer Jason Leigh. Tout cela n'avait peut être pas de sens. Mais la formule était jolie quand même. Comme un palindrome. Comme une régression, avant le grand saut.
Peut-être que Solondz est prêt, désormais, à rentrer dans l'âge adulte, lui aussi. 906
 
vincy

 
 
 
 

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