Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Bakushû (Eté précoce)


Japon / 1951


 



MARIAGE TARDIF





Yasujiro Ozu réalise en 1951 un film qui s'inscrira dans celles de sa maturité artistique. Eté précoce est une oeuvre méticuleuse, périlleuse, heureuse.
Précise car toutes les nuances y sont harmonieusement réunies. Subtilités de la vie qui font passer du rire à l'angoisse, de la colère à la résignation, en un clin d'oeil. Ou 24 images / seconde.
Risquée parce qu'il n'est jamais facile de raconter une histoire avec une quinzaine de personnages, dont une famille très soudée. Une audace narrative qui permet à Ozu de voguer entre des petites histoires et des instants magiques, comme Altman saura si bien le faire. Le fil conducteur - une jeune femme de 28 ans rebelle en quête d'un éventuel parti - s'épaissit alors d'une succession de chroniques et d'anecdotes qui en font un portrait passionnant d'un Japon entre trois âges.
Enfin le cinéaste parvient - entre ces failles béantes où s'engouffrent les exaltations de chacun et ces interstices étroits où passent des souffles de vie - à définir le bonheur, juste avant qu'il ne se sauve. Oeuvre presque optimiste, merveilleusement mélancolique, Eté précoce est une alchimie précieuse entre la liberté individuelle et les limites de l'ingérence personnelle, entre le dialogue nécessaire et le silence solitaire.

Ozu réussit avec magie - c'est à dire une maîtrise de l'espace et du temps - à basculer de la contemplation à l'action, de la méditation à la parole. Sans accrocs. Il aborde ainsi des sujets aussi variés que le deuil, l'émancipation des femmes, les relations intergénérationnelles, le progrès, ... Sans jamais se disperser. Ni opposer de façon binaire les contradictions de ce Japon encore meurtri par la guerre. Noriko est le coeur de ce chaos, partagée entre le devoir que lui impose la tradition et ses propres sentiments qu'elle assume effrontément. Femme seule, elle travaille, parle d'égale à égal avec son patron, refuse le rôle d'épouse modèle. Ce personnage presque insolite dans la culture nippone, admiratrice de la très féministe Katharine Hepburn (Ozu a toujours aimé les comédies américaines), dénote et rend notre implication/identification plus facile. Cela explique pourquoi Eté précoce est un des films favoris de la critique occidentale. Mais pas seulement.

Au delà de la pression qui s'abat sur Noriko (Setsuko Hara, radieuse "vierge éternelle" du cinéma japonais), harcèlement grotesque pour lui imposer un rond de cuir, Ozu dépeint le quotidien fascinant d'une famille de l'après- guerre et décrit trois visions du temps et du monde : la sagesse patiente des parents, le carriérisme individualiste de leurs enfants et les petits enfants rois. Les comédiens - et spécifiquement le lumineux Ichiro Sugai et le beau Chishu Ryu - permettent de rendre le tableau filmé à ras de tatami, vivant et émouvant. Captivant, poignant mais aussi très léger et parfois burlesque. Comme cette scène "rohmerienne" où deux jeunes mariées parlent à deux "vieilles" filles, de séances de toupies dans un chalet par jour de pluie lors de leur lune de miel. Caquetage de quatre femmes adolescentes s'envoyant quelques piques pour assumer leurs choix : la soumission ou l'indépendance.

Le film dévoile ainsi un Japon perdu entre ses habitudes, ses modes de fonctionnement, et les conséquences du progrès sur les mentalités et les aspirations de chacun. Les hommes deviennent, déjà, impuissants, incompétents. Laissant aux femmes la gestion des crises. Et si les parents ne comprennent pas Noriko, le déphasage est similaire entre son frère et ses neveux ou entre sa future belle-mère en costume traditionnel et les bureaux modernes de la capitale.
Les générations se suivent et ne se ressemblent pas, ou elles oublient. Ozu, en posant sa caméra à quelques mètres du sol, capte les expressions du visage, infimes et raffinées. Malicieux. D'autant que l'angoisse de Noriko n'est pas de se marier, mais bien de quitter son foyer familial, de dissoudre le noyau. Peur d'enfant. Pas étonnant qu'elle s'entende si bien avec ses neveux.

Le cinéaste sort finalement peu de cette maison. Avec le son (un bruit d'une porte coulissante et une sonnerie discrète, par exemple) et le choix de ses plans, il sollicite notre regard, notre invention. Sa caméra s'immobilise et attend le mouvement. Parfois le raccord est si parfait (montée et descente d'étage) que l'on reste bluffé par tant de savoir faire, de délicatesse, de joliesse. Exquis. Il choisit aussi de ne pas montrer. La mer qu'on ne voit jamais, qu'on devine, dont on parle. Comme l'amour qu'elle trouve finalement : on le perçoit, on l'entrevoit, elle même ne le voyait pas, mais c'est en en parlant qu'on y croit...
Il nous laisse imaginer ce que les autres voient. Nuages ou ciel. Ozu lui même s'interroge sur ce Japon en mutation. Hésitant à trouver beau ce Tokyo carré et vertical. Il préférerait presque nous faire croire à une escapade romantique sur fond de décor européen (océan, cathédrale, petit bistro, affiche incitant au voyage) pour la rencontre entre les futurs mariés. Où l'on parle d'épi de blé. Et, lyrique, allégorique, le film s'achèvera sur un champ de blé. Elle aura vaincu la pression parentale et choisit librement son mari. Une adéquation plutô^t qu'une résignation.
La sagesse s'est imposée. Noriko s'est mariée. Sans trop épouser la philosophie du patriarche - son père - à la fois distant et central, resplendissant de justesse, zen, ou en quête de cette paix intérieure. Il faut l'accepter. Se satisfaire de ce qu'on a. Savoir profiter de l'instant. De ce film, par conséquent. A voir et à revoir. S'en contenter. Etre content de l'avoir vu ce Ozu.
 
vincy

 
 
 
 

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