Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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L'iceberg


Belgique / 2005

05.04.06
 



L'APPEL DE LA BANQUISE





"Allez, au travail !"

Le destin fait souvent irruption dans nos vies sous la forme d'une maladresse banale ou d'un incident sans conséquence qui dégénère. Pour Fiona, manager dans un fast-food de banlieue, il prend l'apparence d'une écharpe rouge qui, se coinçant dans la poignée de la porte, l'enferme dans la chambre froide le temps d'une nuit. Comme conséquence, elle ne meurt pas d'une pneumonie, ne devient pas non plus mystique, mais contracte tout simplement une obsession pour le froid qui la lance à la recherche d'un iceberg.

Sur cette intrigue ténue et gentiment loufoque, le trio Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy greffe des saynètes insolites, des personnages amusants et quelques jolis clins d'œil à la réalité qui font du film une promenade aventureuse à travers champs et non une randonnée en rang par deux sur les sentiers balisés. Ne cherchant pas à raconter une histoire linéaire et édifiante, ils s'autorisent les digressions pour le plaisir, et se jouent de tout réalisme. On aime cet univers où les mécaniques bien huilées se grippent au moindre courant d'air et ces séquences gratuites où, constatant la disparition de Fiona, son mari crie, se précipite au fast-food en pyjama, crie à nouveau puisqu'elle n'y est pas, et se fait reconduire en voiture par sa fille (une dizaine d'années), l'air passablement hébété.

Pour passer rapidement sur le quotidien tout gris de leurs personnages, les réalisateurs stylisent à outrance la banlieue froide, les tâches ingrates, les pavillons mornes. Il règne chez Fiona et Julien une torpeur qui endort toute vie familiale, toute communication dans le couple. Les gestes sont mécaniques, saccadés comme la démarche de la jeune femme, et les êtres humains tiennent un peu du robot. Mais tout cela n'est pas intellectualisé, ce qui risquerait de transformer le film en plaidoyer sociologique. Le trio se contente de montrer, avec un sourire en coin, les petits travers dans lesquels on se reconnaît tous. L'habitude qui englue les corps et les cœurs. Puis surgit le rêve de Fiona, chamboulant tout sur son passage. C'est alors un hymne aux nouveaux horizons et aux rencontres : découvrir le monde et le trouver beau.

Rire complice
L'iceberg parle de nous, de ces rêves minuscules pour lesquels on est prêt à remuer les montagnes, mais aussi des barrières qui se mettent en travers de notre route. Oh, rien de tragique, non. Pas d'éléments déchaînés cherchant notre perte. Juste la multitude de petits tracas qui grignotent notre enthousiasme sans jamais l'entamer vraiment et font doucement basculer notre quotidien dans l'absurde, le burlesque ou l'onirique. La chaîne de l'ancre est trop petite, et Julien ne peut assommer son rival. René n'arrive pas à sourire juste au moment où se déclenche la photo, et il a une tête de tueur sur les clichés. Fiona n'avait pas compté sur la marée et elle se retrouve couverte de boue, lavée au jet par une Fernande énergique.

Le potentiel comique naît de ces gestes avortés, de ces maladresses sincères qui rappellent soudain le corps à la dure réalité de la gravité. Qu'il provienne du décalage des situations (une dispute de couple où les protagonistes parlent la tête dans l'oreiller), du jeu physique (les acrobaties réalisées par Fiona lorsqu'elle dort, fantôme pris de la danse de Saint-Guy) ou de la juxtaposition absurde d'éléments disparates (le voyage en bus avec le groupe du 3e âge), notre rire est complice, presque attendri. Car finalement, les personnages souffrent surtout d'un excès de bonne foi et d'une naïveté immense qui leur fait négliger les obstacles de la vie. Alors bien sûr ils tombent, mais se relèvent toujours, pas vraiment décontenancés.

L'émotion du jeu
Pour mettre en valeur le travail d'acteur (époustouflant), le trio a choisi une mise en scène volontairement épurée, qui là encore ne recherche pas le réalisme à tout prix. Le procédé du plan-séquence fixe, poussé à l'extrême puisque le film en compte 150, dénote à la fois du degré d'exigence des réalisateurs et de leur intelligence scénique. Filmer les personnages à distance, dans la continuité temporelle de l'action, est un moyen de laisser parler l'image par elle-même, sans besoin de soutien textuel, tout en préservant l'émotion du jeu. Cela oblige également le spectateur à rester vigilant devant la composition du cadre et les informations qu'il recèle. A chacun de reconstituer, selon ce qu'il a vu, les causalités entre les événements. Car en dehors de l'image, il y a peu de choses auxquelles se raccrocher : les dialogues sont rares, souvent détournés, rendus volontairement abscons ou sans intérêts (les deux scènes au téléphone, où l'on n'entend pas ce que dit l'interlocuteur invisible, tandis que l'autre ne cesse de répéter "oui, mais il/elle est où ?") et sans réel pouvoir dramatique.

Cela donne au film un aspect faussement guindé qui est équilibré par une grande liberté à l'intérieur du cadre. Dominque Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy en profitent, utilisant au maximum l'espace et construisant certains passages comme des ballets. Ainsi au moment crucial de la fête de départ, lorsque Fiona danse avec René, puis le quitte pour rejoindre son mari qui l'attend en haut du promontoire. Elle semble remonter vers un autre monde, puis sort du champ et laisse le marin abandonné, comme écrasé par tout cet espace autour de lui.

Passer 84 minutes dans ce conte pour adultes pas encore blasés, c'est comme s'offrir un sérieux lifting du cœur et du cerveau. Car L'iceberg est du tissu dont sont faits les plus beaux rêves : de l'émerveillement, de l'humour, de l'humanisme et un petit brin de folie. Une vraie bouffée d'air frais dans l'univers souvent confiné du cinéma mondial.
 
MpM

 
 
 
 

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