Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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La vengeance dans la peau (The Bourne Ultimatum)


USA / 2007

12.10.2007
 



LE DAMON DANS LA PEAU







Dernier opus d’une trilogie qui aura définitivement dépoussiéré un genre beaucoup trop codifié, La Vengeance dans la peau est une véritable bombe, un film survitaminé aux incroyables scènes d’action qui affiche sans complexe son réalisme dramatique. En ne déviant jamais du matériau brut auquel il aura participé avec le metteur en scène et producteur Doug Liman, Paul Greengrass réussi le tour de force d’accentuer la tension d’une saga déjà haletante et viscérale où les poings nus remplacent les effets spéciaux, où l'oeil inquisiteur de Big Brother se mue en ennemi invisible, en menace fantôme, accentuant la paranoïa et les excès. Expérience singulière digne d'un film d'auteur ET de genre, ce Damon/Bourne prend aux tripes, nous scotche au siège, et s'affirme comme un héros contemporain au même titre que Hackman dans French Connection.

Après le second épisode, pivot où Bourne passait du fatalisme à l'activisme, le traqué devient le traqueur et c’est désormais lui qui motive les évènements. Ce changement de point de vue scénaristique permet une mise en tension encore plus psychologique, « iconisant » définitivement Jason comme un héros en lutte contre une organisation tentaculaire et légale. En montrant les divisions internes au sein de la CIA, Greengrass politise son propos, le rend donc actuel et crée par la même occasion une dramaturgie moins binaire que l’affrontement sempiternel entre un héros au grand cœur et un méchant grandiloquent. En situant le final à New York, il met la lumière sur une Amérique traumatisée par le terrorisme, fascinée par la propre monstruosité qu'elle engendre, immorale et divine (disposant du droit de vie ou de mort de chacun). La vengeance dans la peau utilise ce ressort dramaturgique dans un jeu de cache-cache qui avance à visages découverts. Il n'y a pas d'hommes de l'ombre, il n'y a que des masques et des fils invisibles. C'est Pinocchio qui se retourne contre son « créateur », la marionnette qui devient marionnettiste. Conscience qui revendique le droit à la liberté, Bourne affirme sa condition humaine.

Ce canevas du retour aux sources permet au réalisateur de concevoir un film plein, sans temps mort, entre courses-poursuites et autres scènes d’action, par un effet de dominos. En effet, chaque rencontre conduit Jason à se rapprocher un peu plus de sa cible et dessine une cartographie à la fois humaine et évènementielle de son périple. C’est simple, efficace et d’une lisibilité chirurgicale. La complexité reste simple et compréhensible, ouvrant même quelques brèches pour une future suite. Greengrass oppose tour à tour le terrain de Bourne qui est ouvert, dangereux et modulable à celui fermé et en contrôle de la CIA, avant de les faire se rencontrer dans un final tout en révélation. Si le tueur parfait est en terrain découvert courant après la montre, l'agence semble tout maîtriser de son lieu immobile avec fenêtre sur le monde. La vision orwellienne est évidemment terrifiante, mais en confondant les auteurs de cet agent génétiquement modifié pour tuer, l'individu renvoie l'image d'une hyperpuissance qui en fait ne contrôle plus rien, et est incapable de se mouvoir en dehors de ses murs capitonnés. Il y a évidemment une sorte de juste milieu, une Athéna clairvoyante, qui sert de lien ténu entre Bourne et la CIA, incarnée par la magnifique Joan Allen, qui irradie un casting pourtant impressionnant. Elle fait le lien avec le précédent épisode comme Julia Stiles est un conducteur qui semble s'affirmer par petites touches et non pas s'imposer avec un coup improbable de scénariste hollywoodien.

En reprenant l’histoire là où il l’avait laissée tout en mélangeant avec des flashbacks, le réalisateur nous plonge instantanément dans l’action et plante le décor sans oublier la dimension psychologique de la quête de soi, où la mémoire humaine faillit face une technologie toujours plus performante et intrusive. Greengrass explore encore plus profondément les codes de la trilogie : l'isolement du personnage, la vulnérabilité de ses alliés (et donc la fragilité d'une morale juste), l'obscurantisme d'un complot lui-même obscur (et donc la force de frappe d'une certaine impunité) et enfin (surtout) l'urbanité qui sert de décor, et donc les mouvements qui servent au personnage de passer de Londres à Madrid, de Paris à Tanger, de Moscou à New York. Toujours des métropoles modernes, grises, peuplées, travailleuses, et jamais glamour, des cités où tout est dédale, huis-clos, aires de détente sordides ou piège à rats. Et quand ils ne sont pas dans les rues ou sur les toits, les protagonistes sont enfermés dans un appartement, souvent à se bastonner. La poursuite et la bagarre qui s'ensuit à Tanger, séquence très longue et haletante, est un monument qu'il faut rapprocher de la course automobile de Bullitt...

La principale qualité de ce dernier opus prend corps dans les scènes d’action. Le cinéaste arrive à capter comme personne (excepté peut-être John Mc Tiernan) un espace en l’inscrivant comme élément fondateur du rythme, du découpage et des possibles réalisables. Les deux meilleures scènes du film (la gare de Londres et les rues de Tanger) sont à ce titre exemplaires et remplissent cette affirmation en différenciant le tempo d’un cadrage frénétique, aux caméras de vidéosurveillance comme support des plans relayant l’action, ou à la prise en compte de la topographie. A la fois multimédia, proche de 24 heures chrono et les apports de la télé, s'enrichissant de sa mise en scène de Vol 93, Greengrass utilise tout son savoir-faire pour multiplier les points de vue, nous perdre sans nous égarer.

Film nerveux, doté d’un montage ultracut mais lisible, le réalisateur conclut au-delà de nos espérances cette trilogie en nous offrant son opus le plus coup de poing. Rien ne semble altérer son scénario carré, sa montée en puissance sans faille et son dénouement à la logique implacable. Il suffira d'attendre quelques notes de Moby et une image allégorique pour comprendre que cette Vengeance est en fait... une Renaissance.
 
geoffroy, vincy

 
 
 
 

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