Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Mad Detective (Sun Taam)


Chine / 2007

05.03.2008
 



LES DEMONS A MA PORTE





"Je vois les démons dans le cœur des gens"

Johnnie To s'oriente de plus en plus vers un cinéma complexe et déconcertant assez éloigné de ce qui, à l'origine, a fait son succès, à savoir l'actionner musclé et stylisé ou la comédie légère, et cela lui va bien. Toujours à l'aise dans le propos divertissant et la mise en scène étudiée, il explore avec méthode toutes les déclinaisons possibles de son genre cinématographique de prédilection, à la fois le plus basique et le plus fascinant : le polar.

Double quête initiatique

Ici, il prend prétexte d'une trame policière (la recherche de la vérité sur la disparition d'un policier dans l'exercice de ses fonctions) pour réaliser un film hybride, à mi-chemin entre le fantastique et le psychologique, mystérieux et envoûtant. En fait d'enquête, il s'agit plutôt d'une double quête initiatique et personnelle, celle de deux policiers réunis pour l'occasion. Bun (le "mad detective" du titre) a des méthodes qui tiennent plus du chamanisme que de la recherche d'indices rationnels et sa santé mentale elle-même semble vacillante. Trouver les coupables ne l'intéresse pas tant que de rencontrer des êtres réellement purs, ce qui s'avère à la fois plus dangereux et plus délicat. Ho, son coéquipier de circonstance, est obsédé par la disparition de son collègue, mais ne recherche en réalité rien d'autre que sa propre vérité. Tous deux se lancent à corps perdu dans la mission, qui évidemment ne tourne pas du tout comme ils l'avaient prévu. Normal : chez Johnnie To, l'imprévu (le hasard, le destin, bref, l'ironie du sort) a toujours un rôle jouer.

Croyance et savoir

Maîtrisant l'art de la variation infime sur le même thème, le réalisateur compose une atmosphère ambivalente, qui oscille entre le loufoque inquiétant et l'étrange poétique. Des scènes quotidiennes presque plaisantes laissent soudainement entrevoir un abime d'horreur, comme cette séquence de restaurant où le spectateur réalise que la femme de Bun n'existe que dans son imagination. Le réalisateur négocie alors quelques instants de grâce (une virée échevelée en moto) et s'engage sur la voie du surnaturel. Resté seul avec la femme "invisible" de son partenaire, Ho engage la conversation. Surpris, le serveur lui demande s'il peut la voir. Et lui de répondre : "J'essaie". Tout est dans cette tentative maladroite pour voir ce qui existe peut-être, de même que par la suite, il essaiera de comprendre ce qui, sans doute, n'est pas compréhensible. Plus le film avance, et plus Johnnie To joue de la frontière fragile entre croyance et savoir. Ho ne sait pas s'il dîne avec un fantôme, mais il a envie d'y croire.

Même chose pour les étranges méthodes de Bun. Sont-elles une simple invention de son esprit malade ou une réalité qui dépasse ceux qui l'entoure ? Ces esprits qu'il croie voir, et nomme "démons", sont-ils réellement un reflet de la personnalité de ceux qu'il observe ou une manifestation de sa propre intériorité ? A moins qu'ils ne soient en définitive qu'un symptôme supplémentaire de son état psychotique et délirant ? Malin, et cynique, To ne tranche pas, laissant le spectateur dans un trouble toujours plus grand. Même sa séquence finale est une manière de brouiller définitivement les pistes, au propre comme au figuré : le survivant d'un carnage, penché sur les cadavres de ses amis et ennemis, n'en finit plus de déterminer à qui il attribuera l'arme du crime et comment il départagera les rôles. De qui faire un héros posthume ? Qui condamner au déshonneur éternel ? La vérité est une notion bien relative…

Noirceur bien humaine

Plus ambigu que jamais, le réalisateur propose finalement une lecture à niveaux multiples de son intrigue : le polar, la quête personnelle, le questionnement du vrai et du faux, et au-delà, une réflexion pas tendre sur l'être humain, symbolisée par les "visions" de Bun et la rapide évolution de Ho, acculé au pire pour sauver sa tête. Très métaphoriquement, ce dernier passe en effet d'enfant craintif (tel qu'il apparaît au départ aux yeux de son coéquipier) à executive woman froide et calculatrice, nouvelle facette de sa personnalité soucieuse de privilégier son intérêt personnel au détriment de la justice et de la légalité. La loyauté chère aux héros traditionnels du film noir en est pour ses frais ! Le cinéma du Hongkongais nous a certes habitué à démystifier l'autorité (PTU, Breaking news…), mais ici, c'est à l'être humain dans sa globalité que s'en prend Johnnie To.

Pour lui, la noirceur est clairement part de l'âme humaine, et contribue même sans doute à la parcelle d'humanité en chacun de nous. Bun, qu'il soit un voyant génial ou un fou furieux, ne nous serait pas si complètement accessible s'il ne prouvait pas, à la toute fin du film, son appartenance à la grande famille humaine. En abandonnant sa pureté obsessionnelle, il commet le sacrifice ultime qui lui permet de trouver la paix auprès de ses semblables. Dans le même temps, il emporte son secret avec lui, ôtant toute chance à une quelconque vérité d'éclater. Et l'on devine, en contre-champ, le sourire narquois et énigmatique de Johnnie To.
 
MpM

 
 
 
 

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