Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Mikey & Nicky


USA / 1976

dvd : 11.03.2008
 



SUCH GOOD FRIENDS





1976. Elaine May, qui joua à Broadway un duo régulier avec Mike Nichols, réalise son troisième long-métrage avec deux acteurs qui se connaissent bien, Peter Falk – pas encore Columbo – et John Cassavetes – déjà réalisateur de huit films. Le second a notamment dirigé le premier dans son retentissant Husbands (1970), la fuite en avant de trois amis après la mort du quatrième membre de la bande. De ces « Husbands » qui trompaient la mort avec l’alcool, les femmes et une agitation aussi vaine que nécessaire, Mikey et Nicky gardent les stigmates : eux aussi sont de vieux amis poursuivis par la mort, une mort toutefois moins abstraite que chez Cassavetes puisque c’est ici la mafia qui a mis la tête de Nicky à prix et un bête gangster en imperméable qui est à ses trousses… Une intrigue de polar donc, schématique, squelettique même – une arme, une prostituée, une voiture. Les codes du genre sont réduits à leur plus pure expression, dans un dénuement qui nous enjoint à regarder ailleurs. Ailleurs, oui, mais où ?

Du côté de chez John Cassavetes
Quand il interprète Nicky, Cassavetes vient d’explorer le film noir avec son Meurtre d’un bookmaker chinois. Dès les premiers plans de Mikey & Nicky, Cassavetes feuillette un journal et ne peut réprimer un sourire en voyant l’annonce du meurtre d’un… bookmaker chinois. La référence n’est pas anodine, car c’est bien de prendre un corps connu, hanté par un certain cinéma – qui plus est, le sien – et de le filmer différemment qui intéresse la réalisatrice. Alors que filme Elaine May ? Un homme, de profil, regarde nerveusement vers la porte de la chambre d’hôtel, allume une cigarette, appelle un ami. Il est assis sur son lit, mal rasé, la chemise entrouverte. La lampe vient recouvrir son visage dans le champ. La caméra s’arrête sur un revolver, remonte vers le visage, flou puis net. Il y a dans les mouvements de la caméra qui caresse le corps de John Cassavetes un érotisme duquel lui-même n’aurait jamais osé se nimber. Plus tard, dans la plus belle séquence du film, Nicky / Cassavetes danse langoureusement avec une femme alors que Mikey / Falk s’exile au fond du plan ; puis Nicky vient le chercher et lui offre sa place… L’érotisme circule de l’un à l’autre en passant par le corps de cette femme poupée qui se refuse et se donne tout à la fois. Moins que l’intrigue, c’est bel et bien filmer deux corps d’acteurs et comment ils entrent en contact qui intéresse Elaine May ; la réalisatrice étire ainsi les scènes – la véritable unité du film – pour leur donner une durée théâtrale.

Du côté du théâtre
L’espace du film, c’est une ville, Philadelphie, curieusement vide : elle est filmée comme le labyrinthe mental dont Nicky tente de s’échapper. En courant, il se heurte pourtant à un mur qui n’est autre que son propre passé. Les souvenirs des deux amis défilent peu à peu : tel frère malade, une mère morte, et même les objets les plus quotidiens prennent soudain une valeur symbolique. Lors d’une dispute au beau milieu de la rue humide, Nicky brise la montre de Mikey. C’est le temps de leur amitié qui s’arrête et le récit révèle alors son enjeu : mettre en scène la destruction d’une amitié, des petites vexations enfouies à la grande trahison. Chaque scène devient alors une épreuve pour cette amitié : quand Nicky jette Mikey dans les bras de sa maîtresse, il sait bien qu’elle le repoussera et qu’il sera humilié ; quand Mikey laisse Nicky de l’autre côté de la porte, il sait bien que le tueur rôde. La durée des scènes permet de dévoiler les faux-semblants à la manière du théâtre américain – un côté Tennessee Williams, le polar nocturne en plus. Au-delà du thème, c’est aussi par son ton mi-tragique mi-absurde que Mikey & Nicky évoque le théâtre. Au cimetière, Nicky ne trouve pas la tombe de sa mère et se met à l’appeler. Au café, Mikey, qui vient chercher de la crème pour soigner l’ulcère de Nicky, s’acharne sur le tenancier qui n’en vend pas sans café. Enfin, c’est surtout dans sa façon de filmer les intérieurs qu’Elaine May théâtralise cette relation. Dans le plan large notamment où Mikey attend dans la cuisine rouge au fond du cadre, tandis que Nicky embrasse sa maîtresse, au premier plan. Par la profondeur de champ, les cadres dans le cadre, la cinéaste enferme ses personnages sur une scène. C’est d’ailleurs sur une porte que s’ouvre et se clôt le film, mais alors que c’est Mikey qui tambourine au début pour que Nicky lui ouvre sa chambre d’hôtel, c’est Nicky qui frappe de toutes ses forces à la fin à la porte désespérément fermée de Mikey. Cette porte, c’est l’espace infranchissable, la limite qui sépare les deux amis. Le « et » du titre prend alors tout son sens. Tour à tour, frères et rivaux, Nicky et Mikey passent en une nuit par toutes les phases d’une amitié. Partagée entre ses influences, Elaine May ne fixe pas ; elle préfère étendre les mots et les regards, faire courir les corps jusqu’à l’absurde, là où tout est possible, notamment un infime et invisible basculement qui mènerait tout droit à la mort.
 
Martin

 
 
 
 

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