Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Sparrow (Man Jeuk)


Chine / 2008

04.06.2008
 



LENT VOL DU MOINEAU





"Vous n’auriez pas rencontré une fille vraiment très jolie ?"

Ceux qui attendaient Johnnie To au tournant en seront pour leurs frais : ce n’est pas encore cette fois-ci que l’on pourra surprendre le réalisateur hongkongais en flagrant délit de redite ou de manque d’inspiration. Au contraire, lui qui n’aime rien tant que varier les plaisirs cinématographiques a, l’espace d’un film, laissé de côté le sang et la "baston" pour renouer avec la comédie, un genre pour lequel il a autrefois montré des dispositions, et qui s’avère bien moins à l’opposé de son cinéma "d’action" que l’on pourrait croire. Pour lui, c'est en effet à chaque fois l’occasion de démontrer brillamment que la légèreté ou la romance se filme de la même manière que le polar. C’est-à-dire en mettant l’accent sur le rythme (enchaînements de situation, rebondissements, sens du montage elliptique), la mise en scène (mouvements de caméra virtuoses, plans d’ensemble englobant l’action, choix esthétiques radicaux) et la chorégraphie minutieuse des moindres déplacements.

Il n’y a qu’à voir le ballet des corps lors des deux plus belles scènes de Sparrow. D’abord le quadrille où Kei et ses hommes se livrent à leur coupable occupation de pickpocket : chacun est en perpétuel mouvement, venant se placer avec le plus grand naturel à l’endroit idéal pour servir de paravent ou récupérer un portefeuille béant d’une poche. C’est enlevé, dynamique et drôle, soutenu par une musique guillerette qui se suffit à elle-même. Puis vient la séquence finale, de nuit et sous la pluie. Abrités sous leurs parapluies, Kei et ses hommes vont et viennent dans une foule anonyme où ils se livrent à un invisible combat de pickpockets. L’enjeu de l’affrontement (un passeport) passe ainsi de mains en mains lors d’une ronde silencieuse et vertigineuse. Splendide.

Mais les trouvailles visuelles et scénaristiques de To ne s’arrêtent pas là : il affuble ses personnages de plâtres et les lance dans l’ascension d’un toit, utilise la cabine d’un ascenseur comme lieu de course-poursuite, imagine les mécanismes les plus compliqués pour voler un simple trousseau de clefs... Ca déborde d’imagination et pétille d’humour, comme une parenthèse récréative et ludique dans un monde par ailleurs aux prises avec la pire noirceur, de l’esclavagisme moderne à la violence urbaine.

Car sous prétexte d’humour et d’auto-dérision, le réalisateur s’offre en réalité une petite vague de nostalgie, décrivant un univers, des valeurs mais aussi une ville en pleine mutation. D’où le charme désuet et atemporel de cette comédie épurée où les voyous se prennent pour des chevaliers servants et les gros bonnets du crime organisé ont le cœur sur la main. Ce que Johnnie To filme, finalement, c’est un monde en voie de disparition. La profession de pickpocket, qui est menacée par la technologie et la modernité, est ainsi un hommage à l’artisanat, à l’école de la rue et à la proximité sociale. Les longs plans sur les toits de Hong Kong, ou dans ses ruelles labyrinthiques, sont eux une manière de capter la mémoire de ces lieux voués à la destruction. Bientôt, tous ces quartiers populaires et mal fichus seront remplacés par des tours de verre et de belles constructions proprettes. Kei et les autres, avec leurs codes dérisoires, leur indéfectible solidarité et leur nonchalance d’un autre temps, n’ont plus leur place dans cette ville qui se fuit elle-même, pas plus que dans cette société obsédée par le rendement et le profit. Sous cet éclairage, le dénouement heureux du film n’est plus si évident, comme s’il n’était finalement qu’une métaphore fulgurante pour exprimer l’échec et le renoncement des protagonistes. Tous juchés avec insouciance sur leur bicyclette branlante, vers quel avenir radieux pourraient-ils bien se diriger ?
 
MpM

 
 
 
 

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