Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Lettre à Anna


France / 2009

18.11.2009
 



La souris tuée par la montagne rouge





Une femme marche dans un parc de Genève. Jambes sublimes, regard intelligent, allure élancée, un brin sévère. Les rayons d’un soleil d’automne caressent son visage. Elle sourit un peu à cette lumière. Sourit peut-être à l’idée de devenir grand-mère. Cette femme parmi les promeneurs qui respire l’anonymat est un grain de sable sur la surface de la terre. Oui, mais un grain de sable qui fait crisser les rouages du pouvoir russe de Vladimir Poutine. L’immense montagne rouge qui a accouché d’une drôle de souris : libre, courageuse et journaliste.

Ironie du destin, Anna Politkovskaïa, fille de diplomates, voit le jour en 1958 à New York, la grande pomme capitaliste décapitée par le terrorisme en 2001. La même année, Anna est détenue plusieurs jours par l'armée russe en Tchétchénie. Son délit ? Avoir « enfreint les règlements en vigueur pour les journalistes », alors qu'elle effectuait une enquête sur un centre de détention de l'armée. Une fois libérée, Anna est menacée par courrier électronique. Elle se réfugie plusieurs mois en Autriche.

Au-delà de la noblesse de son propos, le documentaire d’Eric Bergkraut propose un décodage historique limpide qui remet dans son contexte l’antagonisme russo-tchétchène et le génocide qui en découle. Cette clarté lève le voile sur le caractère d’Anna à mille lieues de l’anomie et du fanatisme. La journaliste confie à la caméra n’avoir rien contre Vladimir Poutine, personnage inintéressant à ses yeux. Non, ce qu’elle dénonce, ce sont les agissements opaques de son pouvoir et la négation des libertés. De là à faire de Politkovskaïa la Jeanne d’Arc tchéchène, il n’y a qu’un pas. Lors de la prise d’otages d’un cinéma à Moscou en 2002, la journaliste balaie et dément ce piège simpliste. Alors que les terroristes tchéchènes l’érigent en négociatrice, Anna, contre toute attente, au-delà de toute adhésion politique, s’offusque du sort des faibles, s’indigne de leur sang qui coule.

En 2005, Eric Bergkraut débute la réalisation d’un film sur la liberté. Il rencontre l’icône journaliste. Certaines de leurs conversations empruntent un ton très personnel. Il ne découvre pas alors une icône, mais une femme imparfaite, exigeante, parfois dure, mais toujours en quête d’un féroce besoin de transparence et de justice. Avec sa plume libre publiée dans la Novaïa Gazeta, elle soutient les tchétchènes bombardés au même titre que les russes tués ou mutilés. Les victimes et les otages ne connaissent pas de frontières dans ses articles.

Lettre à Anna, un voyage en tête-à-tête avec Anna. L’incarnation d’un grain de sable affaibli par une tentative d’empoisonnement en 2004 lors d’un voyage en avion qui la ramène de Beslan, ville tchéchène où elle n’a pas le temps d’intervenir en faveur des accablés. En isolant face à sa caméra chaque témoin qui évoque le parcours de la journaliste, Eric Berckaut montre une poignée de grains de sable qui honore sa mémoire en continuant son combat. Vera, sa fille ; Ilya, son fils ; Karinna Moskalenko, l’avocate de la famille Politkovskaïa ; Dimitry Muratov, le rédacteur en chef du journal dans lequel Anna écrivait ; Gary Kasparov, opposant au régime russe…

De ce documentaire sobre, digne et sans pathos, subsiste l’image d’une femme qui marche dans un parc de Genève. Elle sait exactement le danger qu’elle encourt. Le 7 octobre 2006, cette femme est assassinée de deux balles de revolver par un inconnu dans le hall de son immeuble. Le 19 février 2009, après trois mois de procès, les jurés du tribunal militaire de Moscou acquittent les trois hommes accusés d’avoir pris part à l’assassinat de la journaliste.
La Russie est au 141e rang du classement mondial 2008 pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Depuis le début du XXIe siècle, 20 journalistes ont perdu la vie en raison de leur activité professionnelle. Anna Politkovskaïa, doublée en anglais par Susan Surandon et en français par Catherine Deneuve pour que sa mémoire s’entende et s’étende au monde entier, est devenue le symbole de la liberté d’expression bafouée. Une souris tuée par la montagne rouge, couleur du sang.
 
Benoit

 
 
 
 

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