Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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La comtesse (The Countess)


France / 2009

21.04.2010
 



BON SANG !





«- Est-ce un crime de vouloir rester jeune ?»

Dès le commencement des temps était la femme à la fois vamp… et vampire ! Lilith, la toute première créature, séduit Adam, lui tient tête et le quitte. Le mâle en manque demande à Dieu de remplacer la première féministe par une compagne plus accommodante, Eve la docile. Dans l’Antiquité, les Lamies, serpents ailés avec buste et tête de femme, aiment sucer et boire le sang de leurs jeunes amants. La mythologie grecque décrit les Empouses, escadron volant de la déesse Hécate, comme une envolée de jeunes donzelles aussi légères que l’air. Mais gare aux infortunés qui croisent leur chemin car elles pompent leur substance vitale. En Orient, la goule des Mille et une nuits, femme sublime aux pieds fourchus, hante le désert. Aucun voyageur ne résiste à ses avances avant d’être dévoré tout cru… à l’heure du coït !

Vampires

En 1897, Bram Stoker publie Dracula. Avec son style alambiqué, ce roman-fleuve épistolaire, grand pêle-mêle littéraire, demande dix années d’élaboration à son auteur. Fruit de recherches colossales, cet ouvrage est devenu aujourd’hui une mine d’or ethnologique, historique, géographique et folklorique sur la culture transylvanienne. Pourtant, jamais Stoker, Irlandais de son état, ne posa pas un seul orteil en Europe de l’Est !

Pour incarner le vampire Dracula, Stocker s’imprègne du tempérament cruel de Vlad Tepes III, prince de Valachie au XVe siècle. Ce monarque est un modèle de cruauté. Il tue ses adversaires par milliers en les empalant. Une vraie forêt humaine entoure son château !
Malgré l'absence de preuve tangible, il semble impossible que Stocker n’ait pas pris connaissance de la légende de La comtesse Bathory lors de ses recherches pour Dracula. Certains spécialistes en littérature fantastique avancent que le héros mort-vivant à la bestialité monstrueuse, à l’aristocratie donjuanesque serait une composante de Vlad l’Empaleur et d’Elizabeth la Sanglante.

Au XVIIe siècle, Bathory Erzsébet, Elizabeth en hongrois, est l’héritière de l’une des plus riches familles transylvaniennes. Elle épouse à quinze ans le comte Ferenc Nadasdy, un chef militaire. Le couple s’établit au château de Cachtice, dans la Slovaquie actuelle. Son époux meurt vite à la guerre. La jeune femme, modèle réduit d’Elizabeth I d’Angleterre, dirige seule ses terres.

Selon la légende, Erzsébet est une femme bisexuelle et vampire aussi belle qu’orgueilleuse. À l’affût de toutes sortes d’onguents pour préserver intact l’éclat de son teint, elle frappe un jour une servante au sang. Comme elle s’essuie, il lui semble que sa peau gagne en fraîcheur grâce à la vertu régénératrice du liquide carmin. Son obsession de la jeunesse éternelle la pousse alors à se procurer du sang en grande quantité. Par des promesses d’embauche, la comtesse attire au château des paysannes vierges. Elles sont assassinées, puis vidées. Ses réserves d’hémoglobine rurales épuisées, Elisabeth propose d’enseigner les bonnes manières aux jeunes filles de familles nobles. Leur disparition aiguise les soupçons, et en 1610, une enquête est lancée. À son terme, la Comtesse Bathory est accusée de quatre-vingts crimes d’innocentes. La sanguinaire est murée dans sa chambre du château de Cachtice. Son cadavre sera découvert quatre ans plus tard.

Julie Bathory

Après plusieurs oeuvres cinématographiques dont Contes immoraux de Walerian Borowczyk en 1974 avec Paloma Picasso et Bathory de Juraj Jakubisko en 2008 avec Anna Friel, c’est au tour de Julie Delpy de plonger sa caméra dans la légende sanglante de la belle Elizabeth.

Avec cette adaptation libre, la réalisatrice prête des circonstances atténuantes à la femme vampire, figure ambivalente entre autoritarisme et vulnérabilité. Soumises à la pression de l’autorité et de l’affirmation de soi absolue, bon nombre de femmes de pouvoir dont le leadership justifie les brocards et les bijoux à la Renaissance, les épaulettes des tailleurs stricts et l’attaché-case aujourd’hui, cachent un gouffre entre le paraître et l’être. De cet écartèlement abyssal entre l’image surlignée et la psyché refoulée surgit le flot des névroses.

Lors d’un dîner à la cour de Hongrie, Erzsébet Bathory, dans un beau trait d’esprit, avance que la faiblesse des hommes logent dans leur queue et dans leurs couilles alors que celle des femmes résident dans leur cœur. Parole prémonitoire puisque la jolie veuve va tomber éperdument amoureuse d’Istvan Thurzo, falot imberbe interprété avec justesse par le terne Daniel Brühl (Good bye Lenine). Chez Elizabeth Bathory, selon le regard de Julie Delpy, c’est l’abandon d’un jouvenceau qui ternit sa superbe, fait surgir son délire narcissique, sape sa respectabilité, cause sa déchéance et provoque sa mort. Cet amour éclair aux allures d’attachement maternel plonge la comtesse dans l’aveuglement, la pousse à ne plus écouter les conseils fermes mais bienveillants d’Anna (Anamaria Marinca - 4 mois, 3 semaines et 2 jours), son amante et éminence grise. Cette passion illusoire précipite aussi Bathory dans les bras de Dominic Vizakna, son second mari ambigu (Sebastian Blomberg, la révélation du film). Un homme vipère dépravant la comtesse et s’accrochant à son pouvoir comme un serpent sur la tête de la Gorgone.

Si Julie Delpy dépeint avec finesse l’obsession aliénante d’un caractère dominant en l’attribuant à un prétexte romantique, il est en revanche regrettable de donner la parole à l’objet de ce prétexte pour exposer et clore le film. Le personnage d’Istvan Thurzo, pantin entre les mains de son père (William Hurt, stratège marmoréen) n’a pas la carrure psychologique d’un moteur narrateur. En off, sa voix manque de résonance car ses sentiments à l’égard d’Elizabeth ne sont guère plus épais qu’une feuille d’automne au gré du vent.
Pour nous guider vers la détresse de l’héroïne, il aurait fallu entendre une voix qui chemine vers la raison, la compassion, l’attachement. Celle d’Anna, son amante éconduite, mais toujours fidèle. Et pourquoi pas, d’une façon plus perverse, les mots persifleurs et malveillants de Dominic, son second époux, veuf et enfin riche. Ses propos auraient ajouté à l’atmosphère complotante de la Renaissance hongroise.

Elizabeth Delpy

Une des séquences du film vaut à elle seule sa vision tout entière. Alors qu’Itsvan sommeille, Elizabeth coupe discrètement une mèche de son jeune amant. Quelques séquences plus tard, l’objet du désir délaisse la comtesse. Les traits creusés, l’éconduite se consume. Bathory déchire sa poitrine avec la lame d’un couteau. Introduit la mèche de cheveu dans son sein. Recoud la peau à vif avec une aiguille en forme de crochet et un fil de cuir.

Cette scène effrontément gore est émouvante parce la comtesse Bathory donne à la cinéaste Julie Delpy la possibilité de déconstruire sa persona d’actrice pour mieux regarder son futur de créatrice. Mais quels sont les fondements de la « persona delpienne » ?
Enfant de la balle, Julie est propulsée devant la caméra. Auréolée de lumière, elle parle vite et juste avec désinvolture. Forme de pudeur comparée souvent à de la paresse. À leurs débuts, cette facilité trompeuse fut reprochée à Darrieux et Deneuve dont Delpy très « Parisienne chic frivole » pourrait être la descendante. Avant ses vingt ans, Julie côtoie trois grands cinéastes : Jean-Luc Godard (Détective), Léo Carax (Mauvais sang) et surtout Bertrand Tavernier (La passion Béatrice).

Il est impossible de sans faire le lien entre « sa » Béatrice, figure adolescente, moyenâgeuse, blonde et poupine et « sa » comtesse au visage mûr de la Renaissance, brune et émaciée. Avancée du temps réel amplifiée par la dilatation des époques fictionnelles où Béatrice perd deux biens précieux : sa chasteté et son innocence. Elizabeth : son pouvoir et sa vie. Femmes dans la tourmente séparées par quelques siècles. Toutes deux sacrifiées sur l’autel des enjeux virils et guerriers.

Comme Martine Carol dans Lola Montes et Brigitte Bardot dans Le mépris, Julie Delpy a troqué le blond pour l’ébène, mais sans l’entremise d’un Max Ophuls et d’un Jean-Luc Godard. Non, c’est la réalisatrice aux commandes qui prend le parti de déconstruire l’image de l’actrice, ou plus précisément d’élargir le champ de sa persona en intégrant, dans une mise en abyme des plus fascinantes, une mèche de sa blondeur d’antan, dans sa chair, près de son cœur, c’est-à-dire au registre du souvenir.
En refermant la plaie, la créatrice clôt définitivement le chapitre de sa jeunesse pour annoncer, tel le pigment brun de sa chevelure, une période moins solaire, plus profonde, plus contrastée. Celle de la maturité. À la fin du film, la cinéaste symbolise à l’extrême l’incertain de ce devenir par un profil en ombre chinoise dans une lumière entre chien et loup, entre passé et futur.

Avec La comtesse, Julie Delpy s’impose comme une réalisatrice pour de bon. Faute de moyens, elle joue elle-même le rôle d’Elizabeth Bathory. Une chance pour l’actrice qui interprète sa pus belle partition. Accrochée à son miroir comme une reine des frères Grimm, elle (nous) regarde non sans malice, à travers l’œil de sa caméra, son visage faire le grand écart de l’âge. Une jeune fille douce s’éteint sous nos yeux telle une des vierges d’Elizabeth. Une femme forte digne d’une Bathory la remplace. Merci Mademoiselle Julie pour cette métamorphose grandiose !
 
Benoît

 
 
 
 

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