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L'AUTRE (É)MOI
Avec Splice, petit bijou fantastique étonnant de hardiesse, Vincenzo Natali revient sur le devant de la scène. Il était temps, serait-on tenté de dire. En effet, après son coup de génie horrifique vachement inventif nommé Cube (1997), Natali a eu toutes les peines du monde à concrétiser sur pellicule son indéniable talent. Boudé par le public américain malgré des critiques positives, Splice est une authentique réflexion sur la manipulation génétique, ses perspectives, ses risques de dérive, son rapport à la morale dans une société normée n’acceptant pas ou très mal les dérèglements. Au lieu d’en faire un simple enjeu scientifique sous le joug de multinationales toutes puissantes (ce que n’occulte pas, d’ailleurs, Natali), le réalisateur s’amuse à faire correspondre science et conscience, fantastique et relation de couple, sexualité et désir de normalité.
C’est donc par le biais d’une relation à trois improbable – la femme, la créature, l’homme – que le cinéaste tisse le fil rouge d’une problématique abordée maintes fois dans le cinéma fantastique : jusqu’où peut-on aller au nom de la science et où commence / fini le principe de responsabilité ? Les réponses, évidemment multiples, se dévoilent sous l’angle d’une approche singulière mais non exclusive. Pas surprenant, dès lors, de retrouver l’univers cinématographique d’un Cronenberg, le côté ludique en plus.
Considérant que les risques d’une perte de contrôle sont consubstantiels à l’élaboration de toute expérience scientifique novatrice, Natali focalise son attention sur les conséquences sociologiques, psychologiques et affectives d’une telle intrusion sur le couple de chercheurs, également amants dans la vie. Incapables de dissocier vie intime et travaux d’apprentis sorciers talentueux franchissant allègrement l’ordre déontologique (rapport au bien de la profession) puis moral (rapport au bien de la personne), ils se mettent doublement en danger. Ce que cherche le réalisateur ; explorer le concept de « procréation » au sens large du terme en faisant de la créature une véritable substitution au désir d’enfant inassouvi d’un couple obnubilé par la réussite et la reconnaissance.
La frustration du couple est palpable, ronge celui-ci, détermine le rôle prépondérant de la femme, devient une force de création insoupçonnée révélatrice des sentiments profonds, enfouis, refoulés, violents, contradictoires. L’intérêt de Splice provient de cette imbrication parfaite entre le processus scientifique, la réalisation « miraculeuse » de celui-ci, son détournement, ses conséquences et la relation unique entre « eux » et « elle », créature hybride fascinante à plus d’un titre.
Le couple, magistralement interprété par Adrien Brody et Sarah Polley, se retrouve à gérer tant bien que mal l’existence de «Nerd», mutant androgyne créé à partir d’ADN d’animaux et d’un humain. Dans ce huis clos de circonstance, le film explose les conventions, devient viscéral, organique, dérangeant. A la fois chercheurs, autorité morale, mère, amant et génitrice, ils essaieront de s’adapter, d’anticiper, d’inter-agir sans perdre leur raison. Dans ce cadre, le sexe, moteur de toute vie organique, représente l’unique moyen de sauvegarde d’une espèce unique à la découverte de son corps, entre séduction, copulation, procréation.
Splice est une fable psychologique autour de la création. L’existence de Nerd, créature remarquablement bien intégrée grâce à des effets spéciaux réussis, ne peut que modifier l’ordre des choses. Plus qu’une expérience de laboratoire, elle révèle les peurs, les manques et les vérités cachées de nos deux scientifiques.
La créature comme reflet de notre humanité.
geoffroy
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