Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Homme au bain


France / 2010

22.09.2010
 



GOOD-BYE EMMANUEL





Christophe est un écrivain. Honoré est un cinéaste. Après les consécrations des Chansons d’amour et de Non ma fille, tu n’iras pas danser, Christophe Honoré se permet une halte expérimentale. A l'origine, une commande d'images de Pascal Rambert, le directeur du théâtre de Gennevilliers. Le cinéaste se souvient du tableau Homme au bain créé par un artiste genevillois. Un peintre portant le nom d’un laitage frais du grand Ouest français : Caillebotte..

Gustave Caillebotte, l’un des pères du mouvement réaliste dont l’apogée révèle au XXe siècle Edward Hopper et Andrew Wyeth, représente en 1884 un Homme au bain. Ce thème intime où la femme est reine, notamment chez Edgar Degas, inspire Christophe Honoré. Ses modèles à lui sont François Sagat la star X gay et Chiara Mastroianni. Tous deux mis à nu au sens physique pour le premier, spirituel pour la seconde qui joue "l'actrice", son propre rôle.

Le sujet du tableau Homme au bain est nu, de dos. Une serviette blanche dans les mains, il se frotte avec vigueur. Ce tableau rend voyeur. Force l’oeil à mater les deux jambes trapues, le cul musclé, l’ombre d’une couille. La crudité de la palette bleu violacé de l’artiste renforce avec hardiesse la virilité du modèle dans une posture inélégante, déséquilibrée.

Dès les premiers plans du film, Omar, pâle et freluquet, fait de même. Il reluque son mec à la sortie de la douche. Emmanuel essuie son dos large, ses fesses de brésilienne. Il se retourne. Jauge son amant du regard. Ses cheveux sont tatoués, ses muscles bandés à l’extrême, son poil de hérisson souligné par un teint UV.

Omar se fait prendre une dernière fois par ce surhomme, déserte son appartement de Gennevilliers pour un voyage à New York, demande à Emmanuel de quitter les lieux avant son retour.

Dès lors, deux deuils amoureux vont se dérouler en parallèle, de chaque côté de l’Océan Atlantique. L’un à Gennevilliers, en 35 millimètres, explore la douleur plus fantasmée que réelle d’un « sex toy lover ». La seconde à New York, en DV, montre le journal intime d’un jeune cinéaste qui oublie sa peine en faisant mumuse avec son objectif et sa queue.

Sagat cité

Dans une Amérique post-vietnamienne libérée de son joug puritain, Andy Warhol et Paul Morrissey tournent Lonesome Cowboys. Ils exhibent Joe Dallesandro, homme objet de toutes les consommations. En Italie, le Théorème de Pier Paolo Pasolini fait revenir sur terre « le verbe qui s'est fait chair » en la personne de Terence Stamp. Ce nouveau Christ prend la phrase biblique à la lettre et entretient des rapports sexuels avec tous les membres d’une famille de la haute bourgeoisie. Dans Romance X de Catherine Breillat, la protagoniste Marie affirme : « L'amour physique, c'est le fracas du trivial et du divin. ». Elle décide d’être honorée par le premier homme croisé sur son chemin. C'est Rocco Siffredi qui dément avec vaillance que les anges n’ont pas de sexe.

Chez Christophe Honoré, François Sagat se révèle moins charismatique que Joe, moins mystique que Terence mais tout aussi porno que Rocco avec un zeste de mélancolie en plus.

Emmanuel excite toutes les convoitises dans un Gennevilliers des plus chauds. Chaud au sens (homo)sexuel du terme. Une cité utopique de romancier, une zep pink où les jeunes métis accostent Emmanuel et atterrissent tous sur son divan pour passer de bons moments. Emmanuel regarde s’éloigner Omar en l’accablant de gros mots telle BB face à Piccoli dans Le Mépris. Livré à lui-même, il fait le ménage en se trémoussant en short satiné sur Charles Aznavour et Nancy Wilson. Monte chez le voisin du dessus pour michetonner, lui présente son pétard de pom pom girl accroché à son corps de Hulk. Hélas, le collectionneur d’art ne le désire plus. Il considère Emmanuel comme une œuvre déplacée, périmée dans son salon.

À partir de cette séquence, la bête de sexe va perdre de sa superbe. Ira jusqu’à franchir le périphérique avec son amie Kate, la comédienne anglo-intello. Sous les toits de Paris, la jeune femme veut tâter la fermeté du derrière d’Emmanuel. Il se déculotte illico. Dans la nuit, il la regarde faire l’amour avec son amant. Il pose une main sur la peau de l’homme qui doucement le repousse. Plus Emmanuel avance dans l’histoire, plus Sagat s’habille, plus il se décadre au point de se dissoudre dans le décor. Métaphore du ravin qui sépare le performer X de l’acteur, la banlieue de Paris, les plans culs des affaires de cœur, les homos des hétéros.

La belle sans la bête

De son côté, au son de Two Door Cinema Club, Omar s’envole à tire-d’aile. La caméra du jeune homme accompagne Chiara Mastroianni en promotion américaine pour Non ma fille, tu n’iras pas danser. Échevelée, elle roupille dans l’avion.

Encapuchonnée, elle déambule dans la grosse pomme sans vraiment la croquer. La caméra parkinsonienne d’Omar désacralise les rues pluvieuses de New York où le sourire de madone de l’actrice brille comme un soleil timide. Soudain, lors d’une rencontre sans passion avec des étudiants de cinéma, la caméra s’arrête net sur Dustin. Zoome sur ce pseudo Al Pacino d’une vingtaine de printemps. L’objectif d’Omar ne le lâche plus, l’approche, le drague, le séduit, le dénude. Amourette de passage ou grande rencontre ?... Peu importe, Omar chasse Emmanuel de ses pensées et Chiara, plus amusée que médusée, des images du documentaire.

Dans Non ma fille, tu n’iras pas danser, la légende bretonne de Katell Gollet, jeune fille enlevée par Satan pour avoir trop dansé, raccordait les parties terre et mer du film. Christophe Honoré relie ici la France et l’Amérique avec une séquence de lit entre Chiara Mastroianni et François Sagat. Tel un rêve fiévreux, les couleurs trop vives pour être vraies tentent d’allier la Belle des lofts de Saint Germain des Près à la Bête des studios de Raging Stallion. En vain. Les deux protagonistes annoncés sur l’affiche ne se rencontrent que quelques secondes dans cette scène à la chorégraphie confuse et frustrante.

Ce prélude pourtant aurait pu s’ouvrir sur un conte érotique à la Jean Cocteau version Livre blanc. Imaginez Chiara en belle endormie de Gennevilliers, au teint de lait et à la bouche rouge sang. Elle se fait embrasser par François le « loup-gayrou ». Le baiser est ensorcelé, et fait virer la cuti du monstre. La sagaie de Sagat est alors condamnée à ballotter mollement pour l’éternité. Les nuits de la pleine lune, il hurle à la mort et implore son homosexualité de lui revenir !

Quand Omar revient, lui, à Gennevilliers, il découvre un appartement inhabité, impeccable. Emmanuel s’est volatilisé. Et si ce titan d’amant n’avait jamais existé ? Et si Omar, c’était Christophe Honoré qui signe là un autoportrait à deux temps entre crudité et sentiment ?... À l’image du visage d’Omar crayonné sur le mur et qui regarde son propre poster où il pose le sexe à l’air entre les pans ouverts d’un peignoir panthère.

Homme au bain, plus home movie que sex tape, se regarde comme une expérience de ciné/vidéaste. Par sa liberté de création, elle offre à Christophe Honoré l'opportunité de remplacer les mots par les corps. Hélas, ce court-métrage gonflé en long ne parvient à l'érection et laisse une impression bobo chic, loin de l'érotico choc espéré. Le désir de Chiara Mastroianni et le cul(te) gay de François Sagat auraient mérité, au sens figuré, plus de flesh et de folle furieuse poésie.
 
Benoit

 
 
 
 

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