Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Vénus noire


France / 2009

27.10.2010
 



L'INHUMANITE





"C'est assurément dans la forme et le grand développement des mâchoires que l'on trouve le plus de ressemblances entre cette "hottentote" et l'orang-outang."

Parfois, il ne s'agit plus tant de cinéma que d'expérience cinématographique, moment éprouvant passé à écarquiller les yeux devant un film qui à la fois captive et dérange, bouleverse et contrarie. En l'occurrence, 2h40 d'une descente aux enfers historique dont on ne nous épargne pas grand chose. Il n'y a pas de doute, on peut compter sur Abdellatif Kechiche pour ne jamais privilégier ni le confort ni la tranquillité du spectateur. Il nous oppresse, nous essore et nous laisse exsangues, persuadés d'avoir assisté à un vrai moment de cinéma, mais peu convaincus d'y avoir pris du plaisir.

Car bien sûr l'histoire de Saartjie Baartman est édifiante, abordant à elle-seule les questions du racisme, de la responsabilité individuelle face à un acte collectif, des frontières de l'art et de l'inhumanité de salon. Mais elle est aussi révoltante, insupportable et écœurante. Or le cinéaste, au lieu de livrer la matière brute et épurée, à la manière d'un documentariste qui s'efface derrière la force de son sujet, joue à fond la carte de la surenchère. Il étire chaque scène jusqu'à la nausée, ponctue la longue descente en enfer de son héroïne de trois séquences de spectacle que l'on croirait filmées en temps réel, interminables et insoutenables, et force le spectateur comme le personnage à boire la coupe jusqu'à la lie. Aussi, même si le cinéaste n'a rien perdu de ses talents de metteur en scène, c'est l'overdose.

Mise en abyme

On comprend bien qu'il cherche à impliquer le spectateur de la même manière que l'était celui qui assistait à l'époque aux "spectacles" de Saartjie. D'où les multiples gros plans sur les visages de cette foule anonyme qui se repait du corps de la jeune femme. Le poids du regard, montre Abdellatif Kechiche, est essentiel pour se représenter ce qui est arrivé à Saartjie et comment cela a été rendu possible. Et pour mieux nous le prouver, il opère un basculement transparent entre le spectateur du XIXe et celui d'aujourd'hui, transformé malgré lui en voyeur complice et donc responsable.

Le problème, c'est que pour parvenir à ce résultat, le réalisateur transforme son actrice en Saartjie et devient lui-même à la fois Hendrick Caezar et Reault, les deux hommes qui ont exhibé la "Vénus hottentote". Cette transposition ambigüe à quelque chose de malsain dans la mesure où elle permet à l'histoire de se répéter, Kéchiche poussant le mimétisme jusqu'à convaincre son actrice qu'en effet, un artiste doit tout donner pour son art, en référence à ce que Caezar veut faire croire à Saartjie. Accessoirement, il lui inflige les mêmes traitements que ceux qu'a subis le personnage. C'est à la fois de la fiction (on ne prétend pas que Yahima Torrès a été maltraitée, ou contrainte de faire des choses contre son gré !) et une mise en abyme tortueuse, dérangeante, parce que ressentie comme une agression. Le spectateur de 2010 se retrouve en effet bien malgré lui dans la situation du voyeur, complice des mauvais traitements infligés à la jeune femme. Paradoxalement, le seul moyen d’y mettre fin est de quitter la salle, ce qui reviendrait à se voiler la face. Or, il est toujours bon de se remémorer les erreurs du passé, pour ne pas les réitérer. Ainsi on se souvient avec horreur et colère que les études "scientifiques" d’un homme comme Cuvier ont conduit à la théorisation des races, qui elle-même a justifié les pires horreurs du XIXe et surtout du XXe siècle.

Dignité et sensibilité vs complaisance et misérabilisme

C'est pourquoi Vénus noire, en tant que témoignage de l'existence de Saartjie Baartman et de ses souffrances que lui ont infligées, prend une dimension supérieure et trouve une résonance profonde dans l'époque actuelle. A travers la jeune femme, il s'agit de rendre hommage à tous ceux qui ont été victimes comme elle de la bêtise et de la cruauté humaines, à cause de leurs différences physiques et raciales. Comme un message d’alarme face aux nouvelles percées des théories xénophobes, nationalistes, intolérantes et inhumaines consistant à stigmatiser tout ce qui est différent et étranger (la liste est longue, des « clandestins » aux Roms, de l’identité à la préférence nationale). Or, pour le réalisateur, la faute est peut-être collective, mais la responsabilité est individuelle. Les générations futures, semble-t-il dire, nous jugerons comme nous jugeons aujourd’hui nos prédécesseurs.

Fidèle à sa réputation, Abdellatif Kechiche a découvert une actrice formidable, Yahima Torrès, qui offre une composition épurée, pleine de dignité et de sensibilité. Masque de douleur pendant 2 h 40, presque continuellement muette, elle est sans conteste la porte d'entrée du film, celle qui donne envie de ne pas décrocher, car malgré tout ce que subit son personnage, elle reste étonnement sobre et digne, parvenant même à incarner l'espoir d'un avenir meilleur. Par contraste, ses partenaires, notamment Olivier Gourmet, semblent sans cesse dans le surjeu et la grandiloquence. C'est là le gros défaut du film de Kéchiche qui, par bien des aspects, est trop démonstratif et spectaculaire, tout en restant très extérieur à l'action, froid et presque impersonnel. En refusant de prendre parti, il semble renvoyer tout le monde dos à dos. La démonstration par l'exemple finit par tourner à vide et cette absence de compassion et d'humanité dans le regard du réalisateur finit par laisser le champ libre à la complaisance et au misérabilisme.
 
MpM

 
 
 
 

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