Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 100

 
Même la pluie (Tambien la Lluvia)


Espagne / 2009

05.01.2011
 



RIEN QUE DE L’EAU





« -Ils veulent même la pluie qui tombe sur notre tête. »

Le millefeuille d’Iciar Bolain n’a rien de bourratif, il est même plutôt succulent. Un film dans le film. La grande Histoire (sous mode fictif) dans l’histoire récente (presque documentaire). Des acteurs qui se prennent pour des personnages enterrés depuis longtemps et qui leur portent un regard contemporain. Et des amateurs, qui réincarnent leurs ancêtres Taïnos, pour lesquels la vie n’est pas du cinéma, mais bien une lutte quotidienne. La force de ce drame tient d’abord dans sa fluidité entre ses différentes couches mais aussi dans l’intelligence de son propos. À l’écart de scénarios formatés - qui aurait pu croire aux renversements d’émotions qui vont faire basculer les deux principaux protagonistes ? – Même la pluie a l’audace de rendre la parole dans un monde envahit par l’image. Le texte ne sacrifie pas l’inspiration visuelle, qui offre quelques beaux moments, grâce à des idées ingénieuses de mise en scène.

Le film, scénarisé par Paul Laverty (les films de Ken Loach), mis en musique par Alberto Iglésias, et interprété par deux des plus grands comédiens hispanophones actuels (Luis Tosar, méprisant, faux dur et culpabilisant, et Gael Garcia Bernal, trop humain pour ne pas être égoïste), s’est donné le moyens de ses ambitions : raconter comment la colonisation a changé de visage. La Bolivie en 2000, avant l’accession au pouvoir de Morales, est un pays dépendant des puissances occidentales et voisines. Rien n’a bougé depuis l’impérialisme espagnol.

Ironiquement, le film qui doit y être tourné, pour des raisons budgétaires puisque la main d’œuvre y est moins chère, donc exploitable plus facilement, retrace la résistance des Indiens à la tyrannie du Royaume d’Espagne et de ses Conquistadors. En écho à ce tournage (maudit), les populations Indiennes, les Quechas, ne supportent pas la privatisation de leur compagnie de distribution d’eau, décidée par le pouvoir bolivien et des conseils d’administrations étrangers, et entrent en rébellion. Les armées d’Espagne sont remplacées par une police corrompue et des élus parvenus… L’exploitation a juste été « délocalisée ».

Ces deux trames entrelacées sont à la fois parallèles dans le découpage du film et convergentes dans leur aboutissement. Il s’agit de lutter pour exister. Exister au sens survivre. Si le film réalisé par le personnage de Gael Garcia Bernal, en proie aux doutes mais aussi poussé par une ferveur créatrice, se fait à l’arrache, et avec d’énormes doutes, celui de Bolain semble avancer avec détermination, à chaque obstacle résolu. Il se simplifie au fil des événements, préférant la voie d’une chronique d’une bataille annoncée. Le spectateur reste accroché par tous ces tumultes qui se mélangent autour de cette équipe hors du monde (et hors du temps). Quand il s’agit de reconstituer, même dans un jardin d’hôtel de luxe, une scène historique, la poésie théâtrale s’installe. Mais lorsqu’il faudra se révéler homme avant d’être artiste, quand il faudra se confronter au monde environnant, les lâches seront nombreux. Combien s’indignent réellement aujourd’hui ? La tragédie prend alors toute la place. Les vies basculent, et tout nous bouleverse. L’être humain se révèle davantage dans le conflit et la réalité que dans l’imposture du simulacre qu’est le cinéma. Deux personnages s’en sortiront dignement, a priori pas ceux auxquels nous pensions, puisque les « héros » du début s’effaceront en oubliant leur raison d’être. C’est en cela où Même la pluie nous chahute, nous captive, nous laisse une trace. Il donne la voix, facilement peut-être, aux Indiens qui se battent, plutôt que suivre ceux qui désertent.

"C'est bien de se savoir utile"

Pourtant, rien n’est binaire. Si une personne remarque bien que le véritable sujet à filmer repose sur ces Quechas s’accrochant à l’idée d’une eau accessible à tous, c’est un autre, celui là même qui lui refusera de tourner son documentaire, qui foncera tête baissée dans la révolution, au nom de sa conscience. On héroïse des fantômes qui ont bravé les jugements et les condamnations, mais qui est on quand il faut agir ? Comme Bolain ne juge jamais ses personnages, attachants et agaçants, comme elle leur donne une dimension psychologique subtile et floue, nous pouvons toujours choisir celui qui nous correspond. Bien sûr, il y a cette empathie envers les Quechas, qui les rendent immédiatement « bons ». Mais les Espagnols, comme d’autres pays entachés par leurs horreurs passées, ne veulent pas interférer au nom du respect de l’indépendance acquise par ses peuples autrefois martyrisés. Ce dilemme les conduit à fuir le problème, plutôt qu’à aider les victimes.

C’est sans doute l’œuvre la plus intéressante depuis longtemps sur le colonialisme, la décolonisation, le poids de l’Histoire sur les peuples, sujet finalement assez rare dans le 7e art. Entre jungle et montagne, au grand air, Bolain a pris un grand bol d’oxygène pur qu’elle a su insuffler avec vitalité dans son cinéma. Elle glisse subtilement son film vers la guerre, avec son action, sa souffrance, ses cicatrices et ses brûlures. Le piège se referme pour accentuer la tension qui va libérer nos émotions. Comme pour soulager les peuples soumis et les conduire vers des lamentations libératrices. Les larmes coulent. De l’eau. On sait désormais que c’est plus précieux que l’or.
 
vincy

 
 
 
 

haut