Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Camille Claudel 1915


France / 2012

13.03.2013
 



L’AVIS DE JESUS





"Je ne suis plus une créature humaine."

Eh bien, oui, Juliette Binoche chez Bruno Dumont. Qu’on s’en étonne, s’en offusque, ou s’en réjouisse, le si rigoureux réalisateur du nord, qui nous a habitués à travailler avec des acteurs amateurs, a embauché l’une des actrices françaises les plus populaires pour incarner (qui plus est) l’une des plus grandes artistes du XXe siècle. Changement de cap pour l’auteur controversé de l’Humanité ? Pas vraiment. Car Juliette et Camille se fondent dans son cinéma exigeant et épuré comme si elles en avaient toujours fait partie.

Très vite, on oublie la star et le personnage historique. Le visage nu et sans artifices, Juliette Binoche campe une Camille Claudel mature et presque apaisée, dont le visage est le théâtre de toutes les émotions humaines. Sa composition est habitée et invisible à la fois, tant le scénario exige d’elle une immense retenue corporelle, voire une douceur qui se mâtine parfois d’angoisse ou de douleur. Son regard semble alors le dernier siège du feu intérieur qui la brûlait. Ce regard qu’elle porte sur le monde et sur ceux qui l’entourent, observatrice insatiable de la réalité et des merveilles qu’elle peut engendrer.

Devant la caméra de Dumont, Camille Claudel est une femme empêchée, déjà à demi effacée, au-delà de toute révolte furieuse, qui aspire simplement à la liberté. La folie dont on l’accuse trouve son reflet hideux et déformé dans le comportement de ceux qui la dénoncent, et surtout de son frère, qui manifeste une exaltation mystique proche de l’instabilité mentale. C’est lui qui semble dangereux et néfaste, "Illuminé" tout infatué de sa foi profonde et mystique, mais incapable de faire preuve envers sa sœur de la plus élémentaire charité chrétienne. La foi catholique sert ainsi de caution morale, si ce n’est de prétexte, au confinement dans lequel on tient l’héroïne. Comme un instrument de pouvoir cruel utilisé par Paul Claudel pour se débarrasser complaisamment d’une sœur qui le dérange. On sait qu’il aurait agi différemment avec un frère : ici, c’est autant l’artiste que la femme (émancipée, donc dangereuse) que l’on condamne à mourir à petit feu.

A contrario, Bruno Dumont filme de manière presque lumineuse la foi pure et simple de Camille. Il filme magnifiquement son visage et son regard qui se pose sur le monde. Il filme aussi ses compagnes, atteintes de graves maladies mentales (ce sont de vrais malades et leurs soignantes qu’il a impliquées dans le tournage du film), et l’on sent sur leurs pauvres visages défaits le regard doux et bienveillant de l’héroïne. C’est cela qui surprend, le calme et la beauté qui se dégagent de ces scènes pourtant difficiles et à la limite du voyeurisme. Il est dur de supporter ces plans fixes sur une femme qui délire, ces bruits de cuillère que l’on frappe sur une table, ces cris déchirants qui se font écho. Jamais un film de Bruno Dumont n’aurait autant mérité d’être sous-titré : « L’humanité », tant il donne à voir ce qu’est l’être humain dépouillé de tout calcul, de tout paraître, réduit à sa plus simple essence.

Au fond, Camille Claudel 1915 est un film de résistance. Résistance d’une femme que l’on nie, résistance d’êtres humains que l’on voudrait cacher, résistance d’un cinéaste qui refuse de revoir à la baisse ses ambitions esthétiques, stylistiques et surtout cinématographiques. Cette fois, Bruno Dumont mêle à son traditionnel minimalisme un souffle tragique au sens presque classique du terme. Le propos est radical dans son esprit, et dans certaines de ses séquences très cérébrales, mais il est servi par une mise en scène élégante et posée qui est comme un écrin à la présence douloureuse de Juliette Binoche. Le climat est anxiogène, à la limite de la claustrophobie, et pourtant dépourvu de cette brutalité glaçante qui hante toute l’œuvre de Dumont. Peut-être parce que les paroles y sont plus violentes que les actes, et que le cinéaste expérimente une horreur feutrée qui se situe principalement sur le plan psychologique. Peut-être aussi parce qu’au-delà du destin insupportable de Camille Claudel, le film peint en filigrane une douceur de vie qui semble faire sens dans ce microcosme hors du temps.

Creusant son sillon, le cinéaste poursuit ainsi son exploration intime et sans concession de l’être humain, dans un versant qui est à la fois sombre et lumineux, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Bruno Dumont n’a en effet pas son pareil pour donner de l’humanité deux visions complémentaires et opposées : celle pour qui tout espoir est perdu, et l’autre, atypique, inhabituelle et cabossée, mais irrémédiablement touchée par la grâce.
 
MpM

 
 
 
 

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