Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le beau monde


France / 2014

13.08.2014
 



L’ETRANGERE EN MOI





"Ca dure longtemps de se sentir nul ?"

Sous ses airs de conte de fées, Le beau monde raconte l’histoire d’une solitude. Celle d’Alice, jeune fille d’origine modeste, soudainement propulsée dans un monde qui n’est pas le sien. Elle s’y sent aussi étrangère que si elle avait quitté son pays, aussi différente que si elle venait d’une autre civilisation, aussi perdue que si son entourage parlait une langue incompréhensible. Pour Julie Lopes-Curval, lorsque la bergère épouse le prince, même un amour très puissant n’est pas suffisant pour combler la distance qui préexiste entre eux.

Elle décortique donc dans des scènes très courtes, quasi chirurgicales, la manière dont Alice reste extérieure à cette nouvelle vie qui lui ouvre pourtant les bras. Elle ne parvient à s’intégrer ni dans son école d’arts appliqués (où elle réalise pourtant son rêve), ni dans sa belle-famille ou parmi les amis d'Antoine, son compagnon. Comme une illustration plutôt maligne des thèses de Pierre Bourdieu, la réalisatrice la confronte par toutes petites touches aux réalités bien tangibles d’un décalage social et culturel de plus en plus insurmontable. "C’est comme si une porte s’était ouverte sur un monde immense" remarque la jeune fille. Mais au lieu de faire sien ce nouvel univers qui lui apparaît, quitte à s’y brûler les ailes ou à s’y perdre, elle reste sur le pas de la porte, à la fois persuadée de ne pas y avoir sa place, et fascinée par ce qu’elle découvre. Alors qu’Antoine est à l’aise dans toutes les situations, assez sûr de lui pour contester une société dont il est pourtant le pur prototype, Alice se contente d’en chercher perpétuellement les clefs et les codes.

En cela, elle évoque une autre héroïne dotée du même prénom, la fameuse Alice de Lewis Carroll, plongée dans un univers qu’elle ne peut appréhender. Comme elle, l’héroïne du film traverse une crise d’identité douloureuse, doublée d’une profonde remise en questions. Tout ce qu’elle croyait savoir s’effondre, tout ce qu’elle ignorait ne pas savoir lui saute soudainement aux yeux. "Je ne connais rien, moi" dit-elle à un camarade qui lui parle de Brancusi. Plus tard, elle raconte sur le ton de la confidence : "Tout est beau. Ils ont l’air de trouver ça normal."

Car les préjugés vont dans les deux sens, et si la famille d’Antoine la juge parfois férocement, Alice se met également à avoir honte de son milieu, de sa famille et d’elle-même. Dans une scène-clef du film, elle interroge un homme qui, comme elle, fait le pont entre les deux univers : "ça dure longtemps de se sentir nul ? lui demande-t-elle d’une voix presque brisée. Toute la cruauté du jeu social explose à ce moment-là, révélant le gouffre qui, aux yeux de la jeune femme, la sépare des autres. Dans ce jeu de dupes, où chacun avance masqué, c’est au final Alice elle-même qui s’avère la plus intransigeante, perpétuellement victime d’un complexe d’infériorité qui l’empêche d’être tout simplement elle-même.

Cette vision moderne d’une lutte des classes entièrement intériorisée et préexistante à toute relation sociale, déconnectée de toute notion de mérite ou d’ascenseur social (après tout, en entrant dans une école prestigieuse, Alice fait jeu égal avec les enfants de familles plus favorisées), révèle en creux une société où les rôles et les statuts sont de plus en plus figés, incapables d’évoluer ou d’être dépassés. Analyse passionnante et souvent pertinente, même si la démonstration s’avère parfois convenue ou un peu forcée.

Ainsi, lorsque le film semble bifurquer plus nettement vers l’histoire d’amour impossible, on a le sentiment que c’est une manière un peu maladroite de symboliser la frontière infranchissable entre les deux univers, doublée d’une facilité de scénario qui ne convainc pas. Comme si la cinéaste n’avait pas réussi à garder jusqu’au bout sa posture subtile, mais austère, d’observatrice discrète plus intéressée par le mystère des interactions sociales que par l’exubérance des grands émotions.
 
MpM

 
 
 
 

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