Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Eden


France / 2014

19.11.2014
 



ELECTRIC DREAMS





Le film est rythmé avec des dates qui s’affichent sur l’image, le temps file et Paul lui se défile... Tout comme certains films racontent une petite histoire pour évoquer la Grande Histoire, on devine que le projet d'Eden était de raconter sur plusieurs années la vie de Sven Love pour faire plonger dans les origines de la « French Touch ». Après ses trois films Tout est pardonné en 2007, Le Père de mes enfants en 2009 et Un amour de jeunesse en 2011 qui forment presque une trilogie, le moment était venu pour Mia Hansen-Love de filmer autre chose.

Eden est sans doute son projet le plus ambitieux. Mais en puisant dans les expériences de son frère Sven, elle le ramène au niveau de l'intime. Ici les fictifs Paul et Stan remplacent les réels Sven et Greg: il s'agit moins d'un témoignage que d'une fiction...

Eden nous montre donc le parcours de Paul qui découvre les "teufs" avec des copains, il va commencer à faire le DJ et former avec son pote Stan le duo Cheers. Ils sont étudiants le jour sans faire avancer leur mémoire universitaire et le soir ils deviennent les ambassadeurs des rythmes House et Garage avec leurs disques et bientôt sur une petite radio qui est la première à diffuser de la techno, la mythique Radio FG. Le film fait des bonds dans le temps en passant d’une année à l’autre par un système d'ellipses : les soirées à La Coupole ou au Queen, et surtout le voyage aux Etats-Unis où ils vont jouer à New-York et chercher des nouveaux sons à Chicago. De retour à Paris les soirées continuent, de plus en plus populaires. Mais eux restent précaires. La House semble avoir été un épiphénomène éphémère, passé des fêtes presque clandestines à la périphérie de Paris pour arriver dans les discothèques de la capitale. D’autres sons électro ont suivis avec d’autres DJs reléguant le duo Cheers (et d’autres) dans l’ombre.

Eden raconte en creux ce bref passage dans la lumière avec le personnage de Paul, jeune homme exalté par la sensation de vivre de sa passion de la musique sans se préoccuper de son avenir. C’est finalement tout ce que vers quoi va tendre ce film Eden : le parcours d’un passionné qui se brûlera les ailes tandis que "sa" musique se propagera dans le monde et se choisira d'autres rois.

Cette fameuse « French Touch » est donc moins le sujet du film que son décor : chaque séquence est une reconstitution avec des références partout dont beaucoup vont échapper au néophyte. On y voit un flyer avec une infoline, le studio de Radio FG, le fanzine Eden, un sticker Superdiscount sur un mur, une soirée Respect… La présence de quelques guests dans leur propre rôle de musicien (Terry Hunter, Tony Humphries, La India…) ne vont rien évoquer de particulier à qui ne connaît pas ce style de musique. Les scènes de soirées de Paul et Stan sont d’ailleurs dans le film étrangement peu communicatives, on a l’air de moins s’y amuser que les ados de l’époque avec ‘Dance Machine’. Un seul moment fédèrera spectateurs et acteurs, celui où deux jeunes mecs (Thomas et Guy-Man) arrivent derrière les platines d’une soirée dans un appart et joue leur titre "Da Funk" qui deviendra par la suite un hit mondial. La présence du duo Daft Punk dans le film se révèle en fait être une fausse-bonne idée, ce sont trois courtes apparitions qui sont d’ailleurs comme une indication que cette « French Touch » sera autre chose qui va émerger sans le personnage principal Paul. Ces apparitions sont même une distraction problématique (surtout la dernière, superflue) car elles polarisent l’attention du spectateur sur le film qu’il aurait peut-être voulu voir (Daft Punk est omniprésent dans la bande-annonce, mais c’est trompeur) au détriment de l’histoire de Cheers. On pourra même regretter que cet Eden des années 90 dans les clubs le Queen et le Djoon se révèle au final bien moins réussi que Rien dans les poches de Marion Vernoux sur les années 80 dans les boites du Palace et des Bains Douches... On loue la construction sur le papier (le film a des airs d'un mix de deux heures, avec ses ponts obligatoires et ses moments entêtants), mais elle se révèle trop mécanique (comme l'étaient certaines musiques électroniques) pour déclencher de l'émotion.

La musique occupe toute la vie des protagonistes et une grande partie du film. Pourtant, Eden ne va pas montrer grand-chose de la « French Touch ». C’est avant tout un biopic sur le DJ Sven Love filmé par sa sœur. La longue durée du film de 2h11 se fait ressentir avec plusieurs scènes inutiles au récit (par exemple un délire sur le film Showgirls de Paul Verhoeven, une trop longue séquence sur le caprice de luxe d’une chanteuse invitée dans un hôtel, une méchante réplique contre David Guetta…) qui n’ont pas grand-chose à faire dans le montage final.

Le film, trop systémique au point d'être trop distant parfois, est est fait construit avec deux parties distinctes, ‘Paradise Garage’ et ‘Lost in Music’, comme pour suivre le classique schéma de l’ascension puis de la chute d’un personnage. Pendant plus d’une quinzaine d’années le film suit autant Paul dans ses aventures musicales que dans ses mésaventures sentimentales, cinq au total. Sa romance avec une américaine Julia a pris fin quand il rencontre Louise. Paul va ensuit vivre aux côtés d’autres femmes comme Margot ou Yasmin, mais à chaque fois qu’il va recroiser Louise, ce sont des regrets qui surviennent… Que du classique. Mais ce sont bien ces histoires d’amour compliquées qui servent de fil conducteur à l'oeuvre de la réalisatrice: c'est même thème de prédilection de Mia Hansen-Love. Elle filme donc un jeune homme qui ne change pas et reste un éternel adolescent alors qu'autour de lui les autres évoluent. Les soirées en club se professionnalisent avec un calcul de rentabilité quand lui est toujours à découvert auprès de sa banque et Louise avance dans sa vie (avec des changements capillaires) tandis que lui ne s’engage jamais.

La curiosité de Eden est d’offrir les rôles principaux à des nouveaux visages (Félix de Givry, Hugo Conzelmann, Roman Kolinka, Olivia Ross…) tandis que les rôles secondaires d’une dizaine de minutes ont été confiés à des célébrités (Greta Gerwig, Laura Smet, Golshifeth Farahani, Vincent Lacoste…). Comme des guests dans un morceau freestyle. Cependant le film est régulièrement illuminé par le personnage de Louise, qui sert de refrain, brillamment interprétée par le feu-follet Pauline Etienne. Elle s’affirme de film en film sans aucun faux pas (Le bel âge, Qu'un seul tienne et les autres suivront, Paradis perdu, La Religieuse, bientôt dans Tokyo fiancée…), et dans Eden elle est justement le personnage qui symbolise presque l'unité de mesure de cette époque où Paul préfère se perdre dans l’effervescence de l’instant. C’est avec plusieurs instantanés au fil des années que la réalisatrice décrypte un enchantement collectif autour de la musique puis un désenchantement personnel et intime dans son cœur. Comme si la musique avait électrocuté une jeunesse (autre grand thème de la cinéaste), au point de les griller. Le film porte bien son titre: Paul, à l'instar d'Adam, a été chassé de son paradis. Comme le chantait le groupe Stardust (avec les pionniers Thomas Bangalter, Benjamin Diamond, Alain Quême) à l’époque : Music Sounds Better With You

Eden c'est une attraction des astres, et une attirance du désastre.
 
Kristofy

 
 
 
 

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