Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Invincible (Unbroken)


USA / 2014

07.01.2015
 



À BOUT DE FORCE





«- Un moment de douleur ne vaudra pas une vie de gloire.»

Deuxième réalisation d’Angelina Jolie, Invincible est un grand bond en avant pour la cinéaste si l’on compare le budget et l’ambition du film par rapport à son premier film Au pays du sang et du miel, qui était déjà une histoire de guerre.

La réalisatrice ne manque pas de moyens : Invincible déploie toute l’artillerie nécessaire d’un film du genre, au point d’y croiser de multiples références : Furyo (avec un sado-maoschisme un peu moins marquant), Le Pont de la Rivière Kwai, Les chariots de feu, L’odyssée de Pi (sans tigre mais avec des requins)… Longue, l’œuvre se divise en quatre parties, comme une descente aux enfers interminable pour le héros, Louis Zamperini, dont l’histoire est autant véridique qu’incroyable.

Délinquance et excellence

Le premier chapitre est composé d’allers et retours dans le temps. Après un feu d’artifice en guise de prologue (une succession combats aériens), le film nous balade entre l’enfance d’un petit voyou faisant les 400 coups, un jeune athlète envoyé aux J.O. de Berlin, où il croisera ses futurs tortionnaires, et un soldat plongé dans la seconde guerre mondiale, côté Pacifique. Le sport l’émancipe et le fait revenir dans le droit chemin, la guerre le construit et l’oblige à survivre. Tout est très séquencé. Le portrait est rapidement dessiné : un combattif qui vise les J.O. de Tokyo en 1940 et qui ne connaîtra du Japon que les camps de prisonniers à cette époque. Ça ne manque pas de péripéties, le rythme est soutenu, un peu trop parfois : la cinéaste coupe les moments intenses en nous renvoyant brutalement dans le passé. Dès qu’il est aux frontières de la mort, le soldat se souvient des gnocchis de la mamma, des conseils du frère, du sermon du prêtre, de l’instant de gloire sur la piste, etc… Les exploits de l’athlète et ceux du militaire se confondent ainsi dans nos mémoires.

Seuls au monde

Pourtant Jolie va changer de direction dans un deuxième chapitre. Trois hommes, seuls sur un canot de sauvetage, en plein océan, durant des semaines. Le découpage ne ralentit pas, mais le spectateur est en immersion. Les flash-backs se raréfient. A ciel ouvert, le huis-clos se transforme en « robinsonnade » avec ses épreuves, cette errance sans fin, ses espérances. Requins et avions sont les rares visiteurs. Invincible change de registre. Jolie prend plus de risques et sort des sentiers battus.

Coups et blessures

Arrive alors la troisième partie du film, toute aussi classique, convenue et longue que les précédentes : les camps de prisonniers au Japon. D’une cellule miteuse où il est isolé aux baraquements collectifs, la cinéaste nous immerge dans un autre film. Avec fluidité elle nous a emmené du récit d’un petit délinquant devenu champion d’athlétisme puis valeureux guerrier et survivant à l’impossible. Dès que sa caméra pose son trépieds sur l’archipel nippon, elle prends davantage son temps pour installer les scènes, renforcer la dramaturgie, au détriment de l’action et oublier les flash-backs. La guerre, comme le sport, est un temps qui exige réaction et rapidité. Désormais, son personnage est immobilisé, constamment dans l’attente.

Mâles et maux

Dès lors, elle installe un duel avec cet italo-américain incarné par un Jack O’Connell parfait pour le rôle du jeune homme promis à un destin brillant et victime expiatoire d’un caporal japonais aussi ambiguë que lunatique. « Pourquoi m’obliges-tu à te frapper ? ». Leur relation trouble, cette torture physique et psychologique subie, conduisent Jolie à opérer une variation sur le corps masculin.
Invincible est doté d’une esthétique fortement homo-érotique. Elle aime filmer les visages de ces hommes, jeunes, beaux, rieurs ou graves. Mais elle nous laisse aussi apprécier leurs musculatures, leurs torses nus, leurs allures de G.I. sous les Tropiques. Les hommes ici peuvent se câliner, se consoler. Avec l’incarcération, les corps vont se métamorphoser. Devenir squelettiques. L’étincelle dans les yeux va s’éteindre. Mais le surgissement de ce caporal japonais, interprété par Miyavi (chanteur et musicien de rock japonais), formidable d’ambivalence, à la limite de la confusion des genres entre un Leslie Cheung dans Adieu ma concubine et la relation muette des trois copains dans Voyage au bout de l’enfer, va bousculer le film vers une tension qu’on aurait aimé plus sexualisée mais qui reste érotisée. Une liaison dangereuse qui ne dit pas un mot et surtout pas son nom. Un sadisme qui cache forcément des intentions plus inassouvies.
Pour notre héros, c’est une épreuve d’endurance, comme courir un 5000 mètres : il ne faut jamais lâcher et continuer de fouler la piste, même on n’est poursuivit par personne. Le film, plus dramatique, devient aussi plus captivant. Jusqu’où peut-on encaisser des coups ? Un prêche au début d’Invincible nous l’annonçait : « aime ton ennemi ». Tout est là, dans l’acceptation de tendre la joue gauche quand on a reçu un uppercut. On aurait apprécié que la cinéaste aille plus loin dans ce dialogue muet, entre un dominant passif et un soumis actif, ou l’inverse, afin de construire un lien sentimental invisible entre le tortionnaire et son « jouet ». Comme dans le récent film le temps des aveux de Régis Wargnier, qui évoquait un lien plus intellectuel et moins sexuel, il manque une dimension dialectique et psychologique pour complètement nous satisfaire.

Martyrs

C’est alors que la quatrième et dernière partie commence. Au passage, la réalisatrice nous montre que des Américains ont trahit leur pays pour profiter de l’hospitalité généreuse japonaise ou la manière dont le Japon usait de la propagande. Jusqu’à présent, le film était un mélange, plutôt réussi malgré ses étirements mais assez maîtrisé techniquement, de scènes déjà vues dans l’histoire du cinéma. En envoyant les prisonniers dans les mines de charbon des Alpes enneigées du Japon, elle nous emmène dans un autre récit. C’est de loin la partie la plus captivante, la plus belle, la mieux travaillée. L’esthétique de cet enfer confronte les cimes enneigées aux gueules couvertes de suie. Les brûlures du soleil, le sang des blessures, la noirceur des peaux de ces corps de plus en plus salie donnent une autre couleur au film. Rien de vraiment singulier mais la réalisatrice s’autorise des images plus symboliques, tout en se délestant d’un récit hollywoodien. Plus impressionnant, et pourtant moins spectaculaire, le parcours de Zamperini devient un chemin de croix (au sens visuel du terme), jusqu’à porter sa « croix » (une lourde planche de bois). La cruauté l’a emporté sur l’héroïsme. L’esclavagisme achève ces soldats américains. Ce ne sont plus les visages épuisés qui occupent l’écran, mais les regards intenses, défiants, fatigués, apitoyés, ou comme morts.

Incassable, prêt à mourir, celui qui ne sera plus athlète ira jusqu’au bout de ses limites. « Si je tiens, je vais gagner » répète-t-il plusieurs fois (c’est la devise du scénario). On ne peut s’empêcher de penser qu’Angelina Jolie devait se dire la même chose en s’attaquant à une si grosse production. Elle n’a pas cherché à révolutionner le cinéma, préférant se concentrer sur une histoire « bigger than life ». La musique est là pour confirmer cette impression de film à l’ancienne, avec les moyen très actuels et un formalisme consensuel : épique, symphonique, sans tonalité spécifique, juste efficace pour essayer de nous faire tirer quelques larmes. Car ici, ni sang ni miel, juste de la souffrance, de la douleur, et des os brisés.

A défaut de nous convaincre totalement, sans doute parce que la production est trop élégante pour casser la distance qui se créé avec le spectateur, à l’inverse d’une Kathryn Bigelow qui sait davantage impliquer le spectateur dans l’action, Angelina Jolie a gagné ses galons pour nous prouver qu’elle sait tenir un récit dramatique ambitieux, tout en portant un regard particulier sur les hommes.
 
vincy

 
 
 
 

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