Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Coffee and Cigarettes


USA / 2004

07.04.04
 



CAMERA CAFE





"- Tu fumes?
- Seulement quand je bois du café.
"

Film à segments ou assemblage de courts métrages, Jarmusch s'éloigne d'une forme de cinéma. Son ambition est bien de nous faire partager un plaisir éprouvé, de bouleverser l'idée même d'une narration cinématographique classique, de nous laisser face à un puzzle bizarrement familier. Il ne s'agit pas de sketches. A la rigueur optons pour un concept de mise en situation. Entre Fantasia, où sont juxtaposés plusieurs oeuvres singulières et cohérentes, et la comédie italienne (Les Monstres et ses sketches avec les deux mêmes acteurs). D'ailleurs le film s'ouvre sur Roberto Benigni. Ce n'est pas innocent. Les Italiens sont de grands amateurs de café. Et l'atmosphère de Down by Law respirera tout au long de ce film, en noir et blanc.
A chaque séquence, des névrosés fument des clopes, boivent du kawa, échangent des propos absurdes ou vides. Jarmusch nous livre là sa vision du monde : la beauté des volutes, la jouissance de l'inutile et du superflu, la puissance du rapport humain, à partir de petits riens. Pour le spectateur, voyeur et épieur, ces rencontres forcées sont tout aussi étranges : ces étrangers, pourtant si proches de nous par ce qu'ils véhiculent avec leur métier, leur passé, leur image, leur personnalité, démontrent, par le creux de leurs conversations, la vacuité totale de la communication. Pire, les fossés sont immenses entre chacun des personnages. Irréconciliables : Tom Waits et Iggy Pop, Cate Blanchett et sa cousine, le serveur et la pin up sensuelle, Alfred Molina et le faux comique anglais. Il n'y a rien entre eux, si ce n'est une idée. Rien ne se construira, rien ne naîtra de ces rencontres, anéantissant toute utopie sur l'échange et le rapport humain. D'ailleurs, la gentillesse n'est jamais récompensée. Mais la prétention est toujours punie. Il y a quelque chose d'un spleen désenchanté.
Peu importe le lieu, le type de cafés, les discussions - sur tout et sur rien, pleines d'humour ou pathétiques, sur les mythes passés ou les engins du futur - dévoilent une brochette de déjantés fascinants. Le café et la cigarette amènent juste de la chaleur, un soupçon d'intimité, dans un rapport clinique et froid entre des gens qui finalement n'ont rien en commun.
Dans ces lieux de rencontres par excellence, on aurait pu s'imaginer que les distances s'effondrent. Au contraire, Jarmusch insuffle de la rancoeur, un semblant de mépris. Si tous ces personnages sont traités à égalité et partent sur les mêmes bases, aucun ne finit vraiment sympathique. Dans cette série de petites histoires, forcément inégales les unes par rapport aux autres, le cynisme trouve sa place, naturellement. Ces confessions de barjos, d'une somptueuse beauté et d'un goût exquis, prouvent l'impossibilité, l'incapacité, l'impuissance de chacun à dialoguer. Et cela rend soit amer, soit triste.
Il faut la folie d'un Bill Murray avec les musiciens du Wu Tang Clang (mais ils boivent du thé!) pour trouver un registre commun, qui ne mène à rien. Ou alors il faut juste deux papys qui ont cessé de parler, d'attendre de l'autre un rêve, une solution, une réponse, et qui se délectent juste de la musique qu'ils ont dans leur tête, en attendant la mort, pour enfin comprendre que l'invisible et l'indicible sont plus forts que les gestes et la parole. Quand Jarmusch, au milieu de ce film qui surfe d'un café à l'autre pour nous raconter finalement la même histoire, du plus bavard aux plus muets, met en scène deux comédiens francophones en face à face, on s'aperçoit que les mots créent le problème, et que le silence peut se passer d'explication, ce même silence qui peut-être la source du bonheur.
Ici, on croit voir un film sans problèmes, sans drames, avec des figurants aux vies sans soucis. Pourtant, la folie des uns et les peurs des autres dévoilent une population en plein désarroi, criant sa détresse. Rien ne va dans ce monde. Et Jarmusch le filme sans effets. Avec justesse. En posant sa caméra dans des cafés où l'on refait le monde, où l'on s'abandonne, surtout, à sa propre nullité. Ne pas savoir parler à l'autre, ne pas savoir l'écouter, voilà le plus grand drame. Tous les mots ont été vains. Et l'on saisit alors l'ampleur des maux.
De malentendus en maladresses, d'Elvis à Memphis au manteau de Viviane Westwood à Hollywood, Jarmusch esquisse un tableau d'une civilisation qui n'a plus rien à dire d'important. Certains diront que Jarmusch n'a plus rien à filmer, lui non plus. Quand des stars deviennent l'antimatière d'un film, le cinéma se transforme en alchimie instable. Excitante comme du café, aussi relaxante qu'une cigarette. Et dans les deux cas si c'est nocif pour la santé, ce n'est pas le moindre mal qui ressort de ce film conceptuel inclassable et pourtant, si classe.
 
vincy

 
 
 
 

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