Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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L'ornithologue (O Ornitólogo)


/ 2016

30.11.2016
 



LA RIVIÈRE SANS RETOUR





"- Je deviens fou. Bande de sadiques !"

L’ornithologue est une odyssée convoquant plusieurs mythes, s’affiliant à un conte onirique et offrant une vraie liberté cinématographique. Joao Pedro Rodrigues signe là son film le plus ample, l’un des plus audacieux, et sans aucun doute le plus hypnotisant.

En prenant comme point de départ Saint-Antoine, martyr de Lisbonne et de Padoue dont les écritures en ont fait un protecteur et un ermite, le cinéaste portugais continue d’explorer le trouble de l’identité, ponctué par des rituels, des sacrifices et des fantasmes, tout en s’aventurant dans le rapport entre l’Homme et la nature, que ce soit les somptueux paysages du nord du Portugal, écrasants et envahissants, cette eau omniprésente (rivière, pluie, fontaine) ou cette galerie d’oiseaux, personnages à part entière.

Erection et rédemption

L’ornithologue est, comme toujours avec JPR, une histoire de métamorphose. Celle d’un solitaire, sans foi, qui, lentement, devient un autre, passant par le stade animal, brûlant ses empreintes digitales, jetant sa carte d’identité et tout ce qui le rattache à son passé, s’émancipant avec une initiation entre Eros (il prend du plaisir quand l’urine d’un homme dont le nez est affublé d’un phallus coule sur son corps ), Thanatos (chassé comme une proie par des Diane chasseresses, tuant un innocent lors d’un corps à corps très sexuel), sans oublier Hermès (messager et vent). Seul au monde, en slip trempé. Peut-être mort, dans le coma, ou tout simplement déraillant après son accident de kayak. On peut interpréter ce parcours initiatique comme on le souhaite. Le cinéaste laisse toutes les portes ouvertes à notre imaginaire.

Diversité visuelle

Rarement film n’a été aussi libre sans qu’il ne s’égare. Est-ce rêvé, est-ce réel ? Peu importe. Le cinéaste est créatif, son film inventif. Il ose une narration originale, des superpositions d’images, un dialogue en mirandais, langue oubliée, des références picturales (comme cette plaie christique au thorax) et cinématographiques (Alain Guiraudie, Luis Bunuel, Miguel Gomes, Apitchapong Weerasethakul), une symbolique variée (un Kayak transformé en totem pour un étrange rite païen ou la pomme que l’on croque avant de commettre un péché). Il y a quelque chose d’ethnologique dans cet Ornithologue mythologique. Les personnages qu’il croise en sont le parfait exemple. Ils sont sujets d’observation et objet de délires ou de désirs. Les chinoises, en pèlerinage (un diaporama hilarant nous résume leur voyage improbable), saintes illuminées et castratrices, effrayés par les esprits de la forêt ou Jesus, ce berger sourd-muet qui évidemment ressuscitera… Sans oublier les oiseaux, observés puis observateurs. La caméra subjective révèle la métamorphose du personnage, objet et sujet épié par ceux qu’il aimait tant regardé. On pourrait croire à un drôle de rêve.

Transe hypnotique

L’errance de Fernando est une mutation. Il se transforme en Antonio. Progressivement. De loin, on comprend que son corps et son visage ne sont plus ceux de Paul Hamy. Plus le film avance, plus les plans se resserrent, et plus nous comprenons que Joao Pedro Rodrigues prend sa place. Fernando devient Antonio. Il est passé par un tunnel en pleine forêt, un tunnel allégorique que n’aurait pas renié un Miyazaki, qui mène vers un autre monde, une autre vie, plus mystique, avec ses chapelles abandonnées. La mort rode, elle s’écrit même sur un azulejos, elle s’annonce même avec le crâne d’un homme mort. La personnalité s’est dédoublée, il était à la fois mort et vivant. Tout est fluide, limpide. On se laisse porter par ces images sublimes, ensorcelantes.

On peut trouver ça dérangeant, troublant même. Tant mieux. La grammaire du cinéaste est libre et n’empêche pas de comprendre le récit naturaliste et spirituel. Les plans sont posés ou aériens, larges ou serrés, le temps est réel ou elliptique. On se laisse envoûter par cette longue hallucination obsessionnelle et homoérotique. Le prodigieux réalisateur, qui joue les prestidigitateurs, s’amuse avec son personnage incarné par Paul Hamy, idéal masculin qu’il s’approprie au point de le remplacer par lui-même. Hamy est sexy, viril, charismatique. Il bande (et bien) tel un martyr chrétien livré à un jeu SM bondage. Il s’exhibe et baise sans pudeur sur le sable, sous les nuages, devant les chèvres, près de la rivière,, dans une séquence hyper sensuelle où les couilles et le cul en premier plan se mélangent comme une vision fantasmagorique avec le ciel se mirant dans l’eau. Il n’y a rien d’obscène. C’est existentiel. Pas surprenant dans ce cas que Jesus lui-même se change en Thomas, qui, comme on le sait ne croit que ce qu’il voit : Paul Hamy et Joao Pedro Rodrigues ne font qu’un. Fernando et Antonio ne sont qu’un.

Autoportrait déformé

Mais, en creux, le cinéaste nous interpelle durant tout le film : que croire ? Qu’est ce qui est vrai ? « Je ne suis plus cet homme là » entend-on. L’ornithologue démontre qu’on peut changer, que l’évolution est intrinsèque à l’Homme. Qu’il faut parfois lâcher prise, déconnecter avec le monde, rompre avec les années vécues, trouver sa propre voie. Et que l’amour est parfois au bout du chemin. Le film est une ode à l’espérance, une guérison sans médicaments à la maladie qui nous pourrit le corps ou l’esprit, le portrait d’un homme seul qui a trouvé son double, d’un homme vieillissant qui accepte l’incertitude de son avenir rétrécissant, d’un observateur de la vie qui accepte de vivre sans se soucier du regard des autres.
 
vincy

 
 
 
 

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