Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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A Ghost Story


USA / 2017

20.12.2017
 



L’ÉTERNITÉ EST LONGUE, SURTOUT VERS LA FIN

Le livre Bye Bye Bahia



« Il y a des bruits bizarres dans cette maison. »

David Lowery avait réalisé il y a quatre ans Les amants du Texas, qui suivait un couple maudit incarné par Casey Affleck et Rooney Mara. Avec A Ghost Story, le réalisateur de Peter et Elliott le dragon change de nouveau de genre. Il retrouve les deux acteurs de son premier long métrage mais les entraîne dans un film allégorique, un drame sur le deuil, aussi singulier qu’étrange, aussi fascinant qu’intriguant.

En 90 minutes, le réalisateur parvient à nous happer et à nous surprendre avec un film minimaliste. Ce qu’il faut retenir de cette Ghost Story n’est pas la surface de ce que nous voyons : un couple amoureux dont l’un des deux va mourir accidentellement puis hanter la maison dans laquelle ils vivaient. Non, ce que David Lowery veut montrer est ailleurs car la croyance dans la survivance de l’âme n’est qu’un artifice pour nous faire supporter le deuil. Ce qu’il y a c’est bien la vie et la mort.

A Ghost Story est un film existentialiste.

Il y a peu de dialogues (puisqu’il est impossible entre un fantôme et les vivants), hormis un monologue (déprimant, un peu trop appuyé, mais assez juste) trop long d’un occupant provisoire qui sert de réacteur nucléaire au reste de l’histoire. C’est d’ailleurs là que le film s’égare : on le subit, il est d’un coup trop bavard et trop signifiant, alors que tout le reste séduit par son épure et ses ellipses.

L’acteur principal, Casey Affleck, disparaît assez vite, errant durant une grande partie du film sous son drap blanc de fantôme. Il y a une audace qui impressionne, comme si le réalisateur voulait casser tous les codes du cinéma.

Il suffit de voir comment il amène l’accident fatal au personnage de Casey Affleck. Le plan fixe la maison. La voiture n’est plus à côté du garage. La caméra s’oriente lentement vers la route. Deux voitures sont percutées. Cut. L’image suivante montre juste la victime au volant. Aucun sensationnalisme. Une journée ordinaire. Une situation anodine. Une tragédie sans effet.

Le réalisateur prend un soin particulier à déjouer les clichés. S’il force un peu sur l’originalité (l’écran carré en 4/3, aux bords arrondis comme une vieille diapositive, n’est jamais vraiment un format justifié), il prend soin de travailler tous les aspects formalistes de son film, et notamment le son et la musique, précis et personnage à part entière. Ce qui force l’admiration c’est bien la clarté de son propos. Le spectateur a le temps de comprendre l’enjeu, qui se déroule subtilement devant ses yeux, comme il saisit rapidement l’intimité de la relation amoureuse, alors qu’elle sera abruptement interrompue dès le début du film. Ce qui rend le deuil d’autant plus éprouvant.

C’est bien cette maîtrise de la durée de ses plans qui permet à l’œuvre de se distinguer d’un banal film sur la hantise (d’où la référence à La maison hantée, la nouvelle de Virginia Woolf). La pause est longue dans la morgue entre le moment où Rooney Mara constate le décès de son compagnon et l’instant où celui-ci se redresse, mort, sous son drap, muant ainsi en fantôme, littéralement. Pas d’effet spécial : le fantôme ressemble à ceux qu’on imaginait enfants.

Explorer le temps

De là, A Ghost Story prend une tournure inattendue. Nous sommes dans l’espace-temps du fantôme. Un espace fermé (la maison dans laquelle il a vécu, où il est prisonnier pour l’éternité) et un temps qui n’a rien à voir avec celui des mortels (une minute pour lui peut être une année pour nous). La vie continue, les saisons passent. Les nouveaux occupants se succèdent quand sa bienaimée s’en va, le laissant abandonné dans cette bicoque. On ressent ainsi physiquement sa solitude, immense. Une détresse accentuée par ce regard triste formé par deux trous dans le drap. Il constate que son amour « indestructible » ne lui appartient plus. Le fantôme a des sentiments (colère, jalousie) et les traduit en crise de nerfs : invisibles aux yeux des vivants, perceptibles par des comportements paranormaux (bruit, objet), illustrés aussi par la trame sonore, subtile.

Cela rappellerait presque, psychologiquement, un film comme Under the Skin de Jonathan Glazer, où une extra-terrestre cherchait un sens à la vie. Ici, le fantôme est en quête d’une mort. Il est maudit. Cette malédiction d’ailleurs, semblable à celle d’un humain qui serait éternel (notion qui croise celle de Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir), va le conduire dans d’autres époques : celle de demain et celle d’hier. Celle où il va vouloir mettre fin à ses jours et celle où il va revenir à l’origine de cette maison hantée. Il va boucler la boucle. Le réalisateur ose ainsi mettre en abime son propre film pour qu’on revive ce qui l’a conduit à cette matinée où il est mort, pour qu’on refasse l’histoire et qu’on comprenne son obsession.

Car on le sait, c’est dit : « Tout ça va disparaître ». La maison, lui, son amour, sa musique, son fantôme. Les fantômes meurent aussi. Il suffit qu’ils soient oubliés. Ou qu’ils lisent un petit papier. Dans cette quatrième dimension aux étranges vibrations, David Lowery s’aventure dans un récit complexe malgré sa simplicité apparente, captivant alors qu’il ne repose sur aucune séquence particulièrement dramatique, humain quand le personnage central est un drap debout. Il ose même un épilogue énigmatique et pourtant si évident. Il y a quelque chose d’universaliste dans ce tour de force renversant. Comme si le deuil était plus difficile à vivre pour un défunt que pour le survivant.
A Ghost Story est une belle histoire d’amour, une triste histoire de mort. Mais c’est avant tout un cri qui nous interpelle : nous sommes peu de choses et il y a peu de temps. Profitons de l’existence avant de disparaître dans un souffle.

Ce texte est dédié à Douaissi. Paix à son âme.
 
vincy

 
 
 
 

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