Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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La route sauvage (Lean on Pete)


/ 2017

25.04.2018
 



LE JEUNE HOMME QUI MURMURE À L’OREILLE DU CHEVAL





La route sauvage d’Andrew Haigh est aussi imprévisible que la filmographie du réalisateur. Après un drame sur sur l’éveil d’un amour (gay) et un autre sur le crépuscule d’une vie à deux, et tous les doutes qui les accompagnent, le cinéaste britannique emprunte un chemin de traverse qui le conduit dans le grand (nord) ouest américain. Si on retrouve deux thèmes majeurs de sa jeune œuvre – la temporalité qui découle d’un événement (ici la mort du père) et les doutes qui envahissent le personnage -, Haigh apporte aussi son style suave et bienveillant qui évite les psychodrames ou la tragédie. Cela reste une histoire de couple. Deux hommes dans Week-end, deux retraités dans 45 ans, un ado et un cheval ici.

La route sauvage revisite ainsi la crise existentielle et réinvente le western et le film de survie. Chaque cliché est revisité au fil de cette descente aux enfers. En apparence, il s'agit d'un road-movie aux allures écologiques a priori classique, dans la lignée de Jeremiah Johnson, d’Into the Wild et de Sur la route. Avec ces échappées en liberté dans de somptueux et amples paysages quasiment vierges, Haigh assume ses références et les genres dont il se réclame, sans chercher une singularité formelle particulière, autre qu’une lumière jamais franche, préférant adoucir la réalité, assez sordide.

Car l’histoire n’est pas vraiment gaie. Un adolescent laissé à son sort – sa mère l’a abandonné jeune et son père décède bêtement – se prend d’affection pour un cheval – aussi « tête de lard » que lui - dont il s’occupe lors de son job d’été. Le canasson est hélas, après quelques courses victorieuses et une défaite scellant son destin, voué aux abattoirs clandestins du Mexique. L’audace de la jeunesse et les tourments d’un orphelin feront le reste : il vole l’équidé et se barre avec lui dans une odyssée périlleuse et sans but.

Trois films en un

Le film se découpe en trois chapitres, trois films presque distincts. La première partie est assez classique : le quotidien d’un lycéen désœuvré qui occupe ses vacances dans un milieu rarement filmé (les courses de chevaux de seconde catégorie, avec dopage et maltraitance animale). Puis le réalisateur nous emmène dans une grande traversée où le jeune homme erre avec un cheval, comme Hamlet réfléchit avec un crâne. Allégorie de la dialectique intérieure qui s’achève brutalement et ramène Charlie dans le réel, précaire et dangereux, d’une Amérique profonde peuplée de paumés.

Dans ces immenses espaces, où le temps s’étire et se contracte au gré des escales, l’adolescent comble l’ennui, sa solitude. Le cheval lui sert de confident à ses tourments. C’est un compagnon, comme un double. De délits en débrouillardises, il comprend, au fil de son périple endeuillé et de ses rencontres plus ou moins heureuses, que son « évasion » est vaine et qu’il doit retrouver « Ithaque », un port d’attache.

Andrew Haigh nous emporte avec ce voyage imprévisible, ce parcours initiatique à l’issue toujours incertaine. Bien évidemment, ce récit est renforcé par la présence de Charlie Plummer, qui ressemble de façon troublante à River Phoenix. Ce qui tisse un lien inconscient avec My Own Private Idaho de Gus van Sant, entre monde halluciné, réalité misérable, et exclus de la société, mais aussi avec Gerry du même réalisateur, où la perte de repères déboussole géographiquement et psychologiquement le randonneur.

Quête affective

Le comédien apporte une innocence et une vulnérabilité, en plus d’une beauté farouche, qui se troublent au contact de sa mélancolie, de son idéalisme, de ses rêves, envolés dans des espaces trop vastes pour lui. Si le réalisateur pose un regard personnel et sensible sur cette perdition, le regard de l’acteur nous transperce par son trouble. Un lien empathique se créé entre le spectateur et lui, qui oscille entre lucidité, instinct et erreurs de jeunesse. Il crève l’écran. Il porte tout le film sur ses épaules, affrontant les emmerdes, défiant la vie, dévorant chaque scène.

A la dérive, le vagabond de ce récit minimaliste, épopée solitaire sur la perte de l’innocence et le passage à l’âge adulte, nous emmène dans une folie douce, pas loin du délirium aiguë, qui remplit le cadre naturaliste. Avec sa tension diluée, cet attachement (et la crainte qui y est liée) au personnage, le spectateur se laisse embarquer dans cette psychanalyse à ciel ouvert.

La route sauvage est bien domptée par le cinéaste, qui réussit avec son épilogue à nous émouvoir complètement. La course d’obstacles – parfois convenus avouons-le -, tantôt au trot, tantôt au galop, a des allures d’expérience où le « héros » ne sait pas ce qu’il cherche. Une « sérenpidité » qui lui permet de trouver quelque chose de bien plus précieux que l’indépendance : un sentiment agréable de sérénité, une affection chaleureuse qui le remet sur une voie conduisant à un horizon lointain plus rassurant...
 
vincy

 
 
 
 

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