Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Un peuple et son roi


France / 2018

26.09.2018
 



L’EXERCICE DE LA CITOYENNETE





« J’en connais des qui ont pris la Bastille. J’en connais une qui va prendre le Basil. »

Après Versailles, drame sur les sans-abris, et L’Exercice de l’Etat, « thriller » sur le pouvoir, Pierre Schoeller semble avoir voulu allier les deux thèmes en un seul film. L’ambition est louable, surtout quand on s’attaque à un morceau de l’Histoire d’un pays comme la Révolution française.

Mais le cinéaste a sans doute péché par gourmandise. Côté grande Histoire, on assiste à une succession de séquences et de discours, pas forcément les plus connus de tous, qui dévoilent plus qu’ils ne démontrent les arcanes d’une Nation en construction. Côté petite histoire, on suit une myriade de personnages, des notoires qui n’existent que par leur fonction (députés, aristocrates, …) aux fictifs (représentant le « peuple » de Paris, des verriers aux lavandières).

« Bientôt, j’aurai des sabots. »

Or, aucun des deux aspects n’est satisfaisant. Comme si le corps du film, cette chair que pourrait être le peuple, et la tête, le Roi, sa cour et l’Assemblée, étaient déjà séparés avant même que Louis XVI ne soit décapité.

Il y a très vite cet étrange constat de voir un très beau film et de ne jamais accroché au récit. Du 14 juillet 1789 au 21 janvier 1793, on traverse les saisons à grande vitesse, comme s’il s’agissait d’un « best of » de la Révolution française, avec ses guests (Lafayette, Robespierre, Saint-Just, Marat, Varlet, et plus discrets, Marie-Antoinette, Danton et Camille-Desmoulins). Schoeller met quand même un point d’honneur à surprendre en préférant dans cette compilation des moments et des scènes « hors-champs » de cette période. Plutôt que de filmer la nuit du 4 août, la fuite du Roi à Varennes ou le premier chant de la Marseillaise lors de la prise des Tuileries, il expose le démantèlement de la Bastille, le retour de Varennes (avec une pause pipi) et les morts qui s’entassent nus dans la cour du Louvre.

Cette vision décalée de l’Histoire aurait pu être intéressante si son fil conducteur n’était pas aussi morcelé. Découpé en chapitres thématiques (liberté, trahisons, insurrection, jugement), Un peuple et son roi est déséquilibré d’emblée par sa dualité entre les espoirs collectifs animé par l’intensité de l’esprit politique et les souffrances personnelles (et intimes) de ceux qui soufflent sur ce vent de changement.

« Ces gens de peu. »

Car si la partie historique est dotée d’une narration qui se suffit à elle-même, l’aspect fictif, romanesque, est décevant et bancal. Hormis le personnage d’Adèle Haenel (dont l’incarnation surclasse tous les autres), tous sont stéréotypés, à peine esquissés, n’ayant pas grand-chose à jouer d’autres que leur rôle utilitaire dans la révolution. A l’image de celui de Gaspard Ulliel qui ne peut pas faire grand-chose pour habiter un personnage mutique et suiveur. Ils sont des représentants du peuple, dont le vécu se résume à leurs routines et leurs idées. Ainsi on comprend la crise sociale, leurs opinions, leurs motivations, mais de leurs existences on ne sait rien d’autre que leur statut social et leur métier.

Mais là encore, Schoeller s’offre un pas de côté par rapport aux précédentes grandes œuvres cinématographiques sur le sujet, en mettant les femmes au cœur de sa focale. Ce sont elles qui entraînent le film, qui le bousculent, qui tentent de lui donner son élan. Le va-nu-pieds plutôt que les sans-culottes. Il pointe d’ailleurs, brièvement, la seule inégalité qui n’est pas prise en compte lors de cette Révolution : celle des hommes et des femmes (qui devront attendre un siècle et demi avant de pouvoir voter et de s’émanciper).

« Tu n’es plus un Bourbon, tu es un bouffon. »

Cela ne suffit pas à tracer une ligne dramatique à un film qui flotte d’épisodes en épisodes. Malgré quelques audaces formelles, allégoriques ou théâtrales, qui rappellent L’Exercice de l’Etat, des séquences sublimes (comme cette lumière qui illumine le peuple lorsque les tours « infâmes » de la Bastille sont détruites), le cinéaste ne réussit pas à nous embarquer dans ce chaos idéologique et sanglant. Parfois trop pédagogique ou trop didactique, le film souffre de cette froideur. Dépourvu d’émotion, il lui manque un souffle romanesque pourtant attendu.

Comme bipolaire, ne sachant s’il veut montrer les visages ou réciter les discours, le scénario rend le film très inégal, emprisonné dans ses contraintes factuelles et incapable de s’évader avec sa partie fictive. Il manque un enjeu dramatique, une interaction avec le peuple, une projection du spectateur. Jamais Schoeller ne cherche à nous montrer sa vision, vers quoi il tend. Il y a les acteurs, il y a le réacteur, mais, malgré toute cette énergie, l’absence d’une destination et d’un point de vue fait cruellement défaut à l’œuvre.

«- J’ai vu le Soleil, il m’a touché la main.
- J’ai vu le Roi et il m’a touché la tête.
»

Car c’est sans aucun doute, ce qui rend perplexe : ce film qui ne fuit aucun carnage ni aucun débat, qui trouve enfin sa dynamique après le massacre du Champ-de-Mars (parce que le personnage d’Haenel devient central et qu’on peut enfin s’identifier à une citoyenne), qui évoque Napoléon avant l’heure (grâce à Marat) et la culpabilité à venir d’un peuple qui a coupé la tête de son Roi, ce film peut satisfaire aussi bien les insoumis que les monarchistes, les républicains que les modérés, les partisans de la Révolution et ceux qui regrettent cette guerre civile qui ne dit pas son nom.

« Soit. Marchons » dit le Roi, plus jupitérien que jamais. « La Révolution est en marche » clame un peuple qui n’a peur de rien. Ironique d’entendre ce verbe « marcher » dans les deux camps (mais pas en même temps).

Cette vision consensuelle et fédératrice rend ainsi Un peuple et son Roi plus subtil dans son point de vue que ce scénario assez basique dans sa narration. L’orgueil du peuple croise alors celui du réalisateur. Le sang du roi et l’espoir des citoyens se confondent en un fondu au rouge qui révèle l’image d’une République née dans une peine de mort qui reste imprimée dans notre inconscient au point d’élire un nouveau Roi tous les 5 ans.

Il y a cette force discrète dans ce film de nous parler d’aujourd’hui, sans que ce soit ostensible. Mais il y a aussi cette faiblesse où Schoeller semble bâcler l’histoire du peuple au profit des grandes décisions de l’Assemblée (il suffit de voir la durée de la séquence de la mort de Louis XVI versus la brièveté de l’épilogue heureux du couple de citoyens). Paradoxal quand on veut exposer l’Histoire en creux (vu des gens du bas) et qu’on réussit finalement ses meilleures scènes en filmant la Politique en pleine lumière.

Là où une série aurait enrichit et comblé tous ces manques, le cinéma s’avère, ici, incapable de réunir une appétence pour la vie publique et l’ardeur de ceux qui la font vivre. Comme pour la fabrication d’une boule de verre parfaite, il ne suffit pas de chauffer et de manier habilement son poignet pour réussir l’objet.
 
vincy

 
 
 
 

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